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Mediapart
Christian Laval : « Macron fait l’inverse du front républicain, un front anti-populaire »
#Extremedroite #Macron
Article mis en ligne le 10 septembre 2024
dernière modification le 7 septembre 2024

Comment expliquer l’insolente aisance – même s’il a pris son temps – avec laquelle Emmanuel Macron a nommé un premier ministre de droite, Michel Barnier, après que la coalition de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), est arrivée en tête des élections législatives du 7 juillet ?

Pour le sociologue Christian Laval, auteur de nombreux ouvrages sur le néolibéralisme (parmi lesquels La Nouvelle Raison du monde en 2010 et Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie en 2016, avec le philosophe Pierre Dardot), ce coup de force institutionnel qui vient piétiner les messages des urnes a tout à voir avec le projet économique et politique néolibéral.

« Ce que les néolibéraux refusent et perçoivent comme une véritable pathologie sociale, c’est que les “masses” puissent, en se coalisant – y compris dans le cadre légal de la démocratie participative –, remettre en cause le fonctionnement auto-équilibré du marché », écrivait-il dans un livre collectif, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme (Lux, 2021). C’est à cette aune qu’il interprète la fusion des droites opérée par Emmanuel Macron et l’avènement d’un « véritable cordon sanitaire punitif » pour faire barrage à la gauche (...)

Christian Laval : Après avoir essayé, en vain, de diviser le Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron n’a plus eu d’autre solution que de chercher à obtenir la fédération des droites : le macronisme, Les Républicains et l’extrême droite. La nomination de Michel Barnier lui permet à la fois de préserver les acquis du macronisme – la réforme des retraites, celles de l’assurance-chômage, la politique de l’offre – et de donner des gages au Rassemblement national (RN). Michel Barnier est l’homme du référendum sur l’immigration, du « bouclier constitutionnel » [contre « la poussée migratoire » et « l’immigration subie » – ndlr], celui qui a proposé de déroger aux traités européens en matière de justice.

C’est donc un calcul de rassemblement, non pas des Français, mais des droites. C’est l’inverse du front républicain : un front anti-populaire pour assurer une politique qui mélange la xénophobie du RN et la politique pro-néolibérale du macronisme. Le coût politique de cette opération est élevé : le gouvernement se met sous le contrôle du RN, qui lui dictera sa ligne de conduite sur la question de l’immigration. Au passage, le RN va complètement abandonner le volet social de son programme. D’une certaine façon, la vraie nature du RN apparaîtra : un néolibéralisme masqué, qui veut combiner une politique de forteresse et une politique pro-capitaliste assumée. (...)

Christian Laval : Après avoir essayé, en vain, de diviser le Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron n’a plus eu d’autre solution que de chercher à obtenir la fédération des droites : le macronisme, Les Républicains et l’extrême droite. La nomination de Michel Barnier lui permet à la fois de préserver les acquis du macronisme – la réforme des retraites, celles de l’assurance-chômage, la politique de l’offre – et de donner des gages au Rassemblement national (RN). Michel Barnier est l’homme du référendum sur l’immigration, du « bouclier constitutionnel » [contre « la poussée migratoire » et « l’immigration subie » – ndlr], celui qui a proposé de déroger aux traités européens en matière de justice.

C’est donc un calcul de rassemblement, non pas des Français, mais des droites. C’est l’inverse du front républicain : un front anti-populaire pour assurer une politique qui mélange la xénophobie du RN et la politique pro-néolibérale du macronisme. Le coût politique de cette opération est élevé : le gouvernement se met sous le contrôle du RN, qui lui dictera sa ligne de conduite sur la question de l’immigration. Au passage, le RN va complètement abandonner le volet social de son programme. D’une certaine façon, la vraie nature du RN apparaîtra : un néolibéralisme masqué, qui veut combiner une politique de forteresse et une politique pro-capitaliste assumée. (...)

Il lui faut donc un homme qui reste sous contrôle des droites, c’est-à-dire dans les limites qu’il a lui-même fixées, celles de la conservation à tout prix de la logique pro-business et des politiques favorables aux intérêts des classes dominantes dont il est le mandataire (...)

l’État de droit en régime capitaliste, c’est d’abord l’État du droit privé, et la démocratie, c’est toujours l’affaire de l’oligarchie « raisonnable ».

Évidemment, c’est un peu gênant pour ceux qui croient à la démocratie libérale parlementaire, au suffrage universel, à la souveraineté du peuple ou à la République. (...)

On peut faire revoter par exemple quand le vote n’est pas conforme aux attentes, cela s’est déjà vu. Ou on peut contester le résultat du vote, ça s’est vu aussi, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Personne n’a gagné, personne n’a perdu. C’est un tour de passe-passe à trois temps : nier la réalité, mobiliser toutes les droites pour faire barrage à la gauche, diviser la gauche.

Pour ce faire il faut un diable, il est tout trouvé. Mélenchon est instrumentalisé par les droites et les médias contre le NFP, et la radicalité parlementaire de LFI est elle-même retournée comme un argument contre le NFP. En ce sens, LFI, tout à ses dépens, acquiert son utilité dans ce tour de prestidigitation mis en scène par Macron. Mélenchon a essayé de contrer la manœuvre par sa proposition de soutien sans participation à un gouvernement Castets. Mais, de toute façon, au-delà de la comédie élyséenne, Macron ne comptait pas la nommer première ministre. (...)

pour les néolibéraux, il s’agit de défaire ce qui se présente comme autant de limites à l’expansion de la raison capitaliste dans la société, et de construire une réalité sociale et humaine nouvelle, en harmonie avec la logique du capital, et cela dans tous les secteurs de l’existence bien au-delà de l’économie stricto sensu.

Les moyens peuvent être ouvertement brutaux, parfois très violents – on le voit en ce moment en Argentine. Ou plus doux, par la propagande, par le contrôle des médias, par la transformation des programmes scolaires, que sais-je encore. La combinaison des moyens est le cas le plus fréquent. En France, on joue aussi bien de la matraque policière que du matraquage des médias, et depuis longtemps déjà. Pensons aux « gilets jaunes » ou à la répression des mouvements écologistes. (...)

cette entreprise politique a une grande cohérence stratégique et une tout aussi grande variété de moyens. L’objectif à atteindre est répété à longueur de discours et d’éditoriaux, et il est devenu d’autant plus « évident » qu’un système de contraintes objectives a fini par le rendre naturel, acceptable, voire désirable.

On a vu comment on a méprisé le résultat du référendum sur le traité européen en 2005, on a vu comment la « troïka » a traité la Grèce de Syriza en 2015. Toutes les recettes sont bonnes, elles peuvent être d’ailleurs anciennes. L’un des procédés les plus courants, c’est de faire peur. (...)

Trouver des boucs émissaires, des ennemis intérieurs, des islamo-gauchistes à toutes les portes, des wokistes à tous les carrefours. Les droites réunies se livrent à une guerre culturelle permanente, et nombre d’intellectuels y participent. (...)

Les gouvernements à venir ne vont tenir que par la bienveillance des droites mais aussi du RN devenu indispensable au barrage contre la gauche. Il faudra bien lui donner des gages et le remercier d’une manière ou d’une autre. (...)

Les mouvements sociaux ont montré leur force par le nombre de gens mobilisés et par leur détermination, mais aussi leur faiblesse : ils n’ont pas gagné, ils ont été méprisés, ils se sont arrêtés sur des échecs. Peuvent-ils encore quelque chose ? La réponse tient au rapport des mouvements sociaux à la politique. Il faut reposer la question du cloisonnement entre le social et le politique. Les syndicats sont censés ne pas intervenir sur le terrain politique, ne pas se mêler de politique. Mais le Medef, la CGPME ou la FNSEA se gênent-ils pour faire de la politique active, pour être des acteurs politiques à part entière ?

Les choses peuvent changer. Le NFP pourrait offrir un cadre plus large que les partis. Ce cadre devrait pouvoir être investi par toute la société, par toutes les victimes des politiques néolibérales, par les citoyens engagés, les syndicats de salariés, les associations, les artistes, les chercheurs, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et bien d’autres. Si le NFP reste une alliance électorale entre partis, il risque fort d’avoir le même destin que le Front de gauche ou la Nupes (...)

Il faut d’urgence « démocratiser » le NFP, en faire un bien commun de tous les gens de gauche. Ce sera la condition d’avoir un candidat unique en 2027. Sinon on recommencera toujours la même histoire. (...)