
Ce texte a été écrit et lu par une militante du collectif Tsedek ! lors de l’une de nos projections de Israelism, un documentaire portant sur l’endoctrinement que subissent les Juifs et Juives aux États-Unis. Elle y raconte sa découverte de l’histoire palestinienne et de sa désionisation – un témoignage qui a fait écho à l’expérience de plusieurs membres de Tsedek ! et qu’il nous a paru important de diffuser.
Chère réfugiée palestinienne, j’ai une histoire à te raconter.
Une histoire qui ne sera pour toi pas facile à écouter.
Mais je t’invite à plonger dans l’esprit d’une jeune fille de 18 ans qui ne reconnaît pas ton existence, n’a pas connaissance de tes souffrances, ne te voit pas.
Avant de crier pour la liberté de ton pays, il m’a fallu du temps. Je te propose de remonter ce temps avec moi.
C’était il y a 10 ans, le 8 octobre 2013 et je m’apprête à prendre l’avion, celui qui m’amènera à te connaître et à te reconnaître.
8 Octobre 2013 : Je suis dans mon lit. J’ai essayé de me coucher tôt, car demain je voyage. Mais je n’arrive pas à fermer l’œil. Je suis beaucoup trop heureuse et pressée d’être demain matin. Je vais prendre l’avion avec une amie que je viens de rencontrer il y a quelques jours ; elle sera dans le même programme que moi. J’ai choisi ce programme parmi tous les programmes Massa. Massa, c’est un projet conjoint du gouvernement d’Israël, de l’Agence juive pour Israël et de ses partenaires, les Fédérations juives d’Amérique du Nord et le Keren Hayessod. Le programme que j’ai choisi proposait une expérience enrichissante d’un an, pour les jeunes sortant du bac français et voulant vivre en Israël. Il me correspondait bien. Un programme sioniste, d’étude et de préparation à l’université israélienne, qui allait nous faire découvrir Israël de long en large par des visites, des voyages à l’intérieur du pays – une plongée dans la culture israélienne, sa langue, son histoire, la beauté de sa terre, de notre terre. (...)
Les vacances là-bas c’est bien, mais moi je veux plus – je veux vivre là-bas, vivre sur ma terre. Trop de gens ont sacrifié leur vie pour cela.
9 octobre 2013 – Nous atterrissons enfin en Israël, à l’aéroport de Ben Gourion. J’ai les larmes aux yeux de joie (...)
Nous prenons le train vers Sderot, une petite ville du sud, située à quelques kilomètres de Gaza, qui reçoit très souvent des roquettes.
Nous aussi nous en recevrons toute l’année, surtout la nuit ou pendant les fêtes. « Les arabes aiment bien nous embêter dans les moments de joie » me dira-t-on. Le directeur vient nous chercher à la gare de Sderot, et nous conduit où nous vivrons pendant un an : Netivot (à 15km de Gaza).
16 novembre 2013 – Je passe mon premier Shabbat à Hébron chez mon instructrice. Il s’agit en fait d’une jeune fille israélienne de notre âge qui s’occupera de nous toute l’année. (...)
Ici, les gens vivent simplement, ont des vraies valeurs. En plus, les prix de l’immobilier y sont vraiment attrayants. J’ai enfin trouvé un endroit où je me sens apaisée, ça ne m’était jamais arrivé. (...)
Israël et le peuple juif ne font qu’un, et "l’an prochain à Jérusalem" de la bible, je le vis aujourd’hui.
(...)
Nous avons construit en quelques dizaines d’années un paradis sur une terre désertique. Une terre vide et aride pour un peuple sans terre, c’était parfait. Certains disent que nous avons colonisé cette terre, et que nous l’avons volée aux arabes. Mais nous y sommes chez nous, nous sommes revenus chez nous, comment pourrions-nous coloniser notre propre terre ? Voler notre propre maison ? Et puis, il y a de la place pour tout le monde. Nous, nous voulons bien vivre en paix, cela ne dépend que d’eux. S’ils déposent les armes, nous les déposerons aussi.
28 avril 2014 – C’est Yom Hashoah et nous sommes réunies pour une cérémonie en souvenir des 6 millions de juifs assassinés. Nous célébrons notre chance d’avoir un pays aujourd’hui, pour ne plus jamais avoir à vivre une horreur pareille.
4 mai 2014 – Vient Yom Hazikaron, le jour du souvenir des victimes des guerres israéliennes et des opérations terroristes. Nous rendons hommage aux soldats morts pour la patrie, tombés pour que la nation juive se relève.
5 mai 2014 – Nous passons de la tristesse à la joie, c’est la fête d’indépendance, avec une multitude de célébrations dans tout le pays. Puis le 8 mai, nous nous rendons à Jérusalem pour fêter la libération de la ville. Dans le bus, nous écoutons, émues, des enregistrements de soldats rentrant dans la vieille ville. Des drapeaux israéliens à la main, nous défilons joyeusement dans les rues en direction du Kotel (le mur occidental), où nous prions et dansons toutes ensemble. (...)
Il m’a fallu plusieurs années pour apprendre, comprendre et accepter, que derrière ma mémoire, se cachait la mémoire de tout un peuple dont l’histoire ne m’avait pas été racontée. Un peuple, avec une terre et une culture, dont la souffrance avait été ignorée. J’utilisais alors le terme assez flou d’« arabe » parce que c’est celui que j’entendais autour de moi. Il est arrangeant et permet de ne pas parler de "Palestinien·nes", reviendrait à reconnaître leur existence et leur identité collective. Je ne parlais pas non plus de Cisjordanie mais de Judée-Samarie, pas de Palestine, parce que ça n’avait pas d’importance. Ce n’était pour moi rien de plus que le nom donné par les Romains à la Judée. La Palestine n’avait pas d’autres histoire que son histoire juive.
Jusqu’alors, il n’avait pas été question de la souffrance palestinienne pour moi. La Nakba, ce terme qui signifie "catastrophe" ou "désastre" en arabe, et qui désigne l’exil forcé des Palestinien·nes en 1948, je ne l’ai pas entendu une seule fois. J’ai dû attendre ma troisième année d’étude en histoire pour le lire pour la première fois. Je n’ai d’abord pas cru à ce que j’ai lu, tout simplement parce qu’on m’avait toujours appris que les Palestinien·nes étaient parti·es d’elles·eux-mêmes, parce que les pays arabes leurs avaient demandé de le faire pour leurs laisser le passage pour nous exterminer. (...)
Je cherche alors dans les archives pour me rassurer, et je tombe entre autres sur un article de 1961 du journaliste et fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies irlandais, Erskine Barton Childers. (...)
Je continue mes recherches, les preuves s’accumulent et je dois me rendre à l’évidence : on m’a menti.
Mon monde s’écroule.
J’en parle alors à quelques personnes autour de moi et on me fait tout de suite comprendre qu’il vaut mieux ne pas en parler, que ce ne sont que des bêtises, de la propagande palestinienne.
Je découvre alors que mes connaissances sont peuplées de croyances et de mythes. (...)
Je comprends alors que je vis en surface, sur une terre invisibilisée. Moi qui gardais de supers souvenirs de cette première année pendant laquelle j’ai visité toutes sortes de lieux – villes, villages, kibboutzim, forêts, montagnes, déserts, parcs nationaux – je ne sais plus quoi faire de ces souvenirs. (...)
À toi, chère réfugiée palestinienne, sache que je suis repartie depuis presque 5 ans maintenant, j’ai tout laissé derrière moi, ma famille, mes ami·es, mon travail, mes études, tout ce que j’avais construit sur tes ruines. 6 ans pour ouvrir les yeux et des soirées à pleurer sur les découvertes que je faisais dans les archives israéliennes. Le deuil a été long et chaque jour qui passe ton pays me manque terriblement. Mais je vais devoir attendre, car je ne reviendrai pas vivre ou même m’amuser dans les rues de ton pays tant que tu ne seras pas libre sur ta terre.