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« Cela fait 150 ans que la gauche sait qu’il faut aller chercher des voix du côté des femmes »
#femmes #feminisme #frontpopulaire
Article mis en ligne le 5 juillet 2024
dernière modification le 3 juillet 2024

Professeuse de littérature, Éliane Viennot rappelle l’urgence de l’égalité entre les femmes et les hommes et elle invite la gauche à en faire une priorité politique alors que l’extrême droite, anti-féministe, est aux portes du pouvoir. Entretien.

Éliane Viennot : Quand on parle au masculin, on pense au masculin. C’est cela que nous voulions rappeler avec la biologiste Joëlle Wiels, co-autrice de cette tribune. Ce qui est écrit dans ce programme du Nouveau Front populaire, et la manière dont c’est écrit, montre que les femmes ne sont pas là dans la tête des personnes qui l’ont rédigé.

L’absence de termes féminins est un symptôme. (...)

Ce n’est ni un problème annexe, ni un problème de forme, c’est le reflet d’une absence de pensée. Il n’y a pas écrit « égalité des sexes » dans ce programme, ni « parité ». Le propos sur les femmes intervient vers la fin, juste avant la cause animale, et il est quasi vide. Concernant la lutte contre les violences, il y a deux lignes. (...)

Concernant la politique, le travail ou la vie en société, on a beaucoup à inventer pour faire advenir l’égalité. Mais ce n’est pas le cas de la langue, où tout ce qui est nécessaire pour parler des femmes et des hommes égalitairement est déjà disponible. (...)

L’enjeu, derrière l’écriture inclusive, c’est l’égalité partout et pour toutes. Aujourd’hui, les féministes ne veulent plus se contenter de ce qui a déjà été gagné : le droit de vote, celui de faire des études ou de travailler sans l’autorisation du mari. Nous voulons être libres d’évoluer dans l’espace public sans que des hommes nous mettent des mains aux fesses.

Nous voulons avoir autant d’argent que les hommes, autant de capital, autant de temps libre, etc. Or, il y a en France et ailleurs, beaucoup de gens qui ne sont pas d’accord avec cette idée d’égalité réelle sur tous les plans. Qui pensent que ça suffit, qu’on ne doit pas aller plus loin. (...)

L’autre raison de cette résistance, c’est que beaucoup de linguistes et autres intellectuels ont été surpris de découvrir que la langue française est potentiellement égalitaire depuis toujours. (...)

Il suffit de se pencher sur les textes des siècles passés, les littéraires et les autres, et aussi d’étudier les grammaires, dont les auteurs promeuvent l’abandon de ces usages et l’adoption de plus masculinistes. Le public savant ne le savait pas, mais il est obligé de l’admettre.

D’ailleurs, les tribunes de linguistes hostiles à l’écriture inclusive ont cessé. Mais le public conservateur qui ne veut pas qu’on aille plus loin dans l’égalité existe toujours. Si l’alliance droite-extrême droite arrive au pouvoir le 8 juillet prochain, je suis prête à parier qu’une de leurs premières décisions serait d’interdire l’écriture inclusive. Ils ne savent toujours pas ce que c’est, mais ils vont l’interdire, tellement cela les démange. (...)

Et la jeunesse aussi pourrait être galvanisée par un véritable programme de rupture avec le patriarcat. Beaucoup de jeunes aujourd’hui sont révulsé·es par l’inégalité des sexes, et notamment beaucoup de jeunes femmes. Cela fait 150 ans que la gauche sait qu’il faut aller chercher des voix du côté des femmes, et que cela implique d’adopter des mesures particulières pour l’égalité des sexes. Mais ils ne veulent pas le faire. (...)

les féministes ont montré que l’égalité des sexes, cela se joue partout. C’est un continuum. Tout comme la domination masculine. Il n’y a pas un problème des salaires, un autre du travail domestique, un autre de la représentation politique. C’est un tout. Quand on commence à voir cela, quand on commence à comprendre que c’est un continuum, on le voit partout. Et cela met en rage un certain nombre de jeunes qui n’ont pas envie d’être confrontées à ces discriminations perpétuelles, ni d’attendre que leurs petites filles aient – peut-être – la possibilité d’accéder à l’égalité. (...)

La question des violences sexuelles, c’est un énorme continent, dont on parle depuis toujours. La première autrice d’un traité féministe, Christine de Pisan, parle déjà des femmes battues dans sa Cité des dames, écrite en 1404. Le viol et l’inceste ont aussi été abordés par nombre de romancières ou d’autrices de contes.

Ce qu’on a en plus, aujourd’hui, ce sont des études, de très nombreuses études, qui ont permis de mettre au jour l’ampleur des violences, et leur réalité. On a longtemps pensé, par exemple, que le viol était une affaire d’inconnu que l’on croise la nuit dans une rue mal éclairée. Maintenant, nous savons que les violences sexuelles sont d’abord commises par des hommes proches, dans la famille notamment. (...)

Le féminisme, ce n’est pas une affaire de gamète, c’est un projet politique, celui de l’égalité des sexes. Par conséquent, il y a toujours eu des hommes féministes, depuis l’Antiquité. Et c’est terrible que la mémoire de ces hommes-là ne soit pas parmi nous. Bien sûr, ils ont toujours été minoritaires puisque les hommes n’ont pas intérêt à ce que leurs privilèges fondent comme neige au soleil, contrairement aux femmes.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes hommes qui affirment qu’ils veulent vivre de manière égalitaire, mais qui n’y arrivent pas forcément, parce que c’est compliqué et que la société ne les aide pas. Ceux qui veulent prendre un congé parental, par exemple, ne sont pas très encouragés. Mais on voit bien, dans la rue, à quel point les hommes s’occupent des petits enfants. On ne voyait pas cela avant, quand j’étais jeune. Donc, cela avance.

Ce qu’on attend d’eux, cela dit, ce n’est pas juste qu’ils soient féministes dans leur vie privée ou au travail. Il faudrait qu’ils s’engagent davantage, qu’ils se rassemblent pour agir. Comme le groupe Zéro Macho (...)

les choses n’avancent jamais toutes seules ; il y a toujours des gens qui travaillent et qui s’engagent pour cela. Sinon, il ne se passe rien. Et, bien sûr, cela peut reculer, pour les droits des femmes notamment. Il suffit de regarder ce qui s’est passé en Algérie, ou au Maroc ou même en Afghanistan, où la situation des femmes a beaucoup régressé en 50 ans. (...)

En France, les femmes sont très présentes à l’université, dans la fonction publique, y compris la haute fonction publique. Donc, s’il y avait des volontés de revenir en arrière, il y aurait des possibilités de résister, même si rien n’est jamais garanti. (...)

S’il y avait plus de femmes au pouvoir, je pense que ces problèmes – la violence domestique, le viol, l’inceste – seraient pris en compte très rapidement. Pour l’instant, on n’écoute pas les femmes. Ce sont les hommes qui ont le pouvoir politique et qui font les lois. Certains sont eux-mêmes des prédateurs, mais ceux qui ne le sont pas trouvent que ce n’est pas si grave que ça, que des dizaines de milliers d’hommes en France violent leurs enfants. Je pense que les femmes seraient un peu plus sensibles au sujet. (...)

(...) (...) (...)