
La filature de laine Bergère de France a été reprise en Scop par ses travailleuses et travailleurs en octobre 2024. Collectivement, ils et elles réinventent leur activité, en la rendant plus durable et en s’en partageant les fruits.
À Bar-le-Duc, dans la Meuse, les ouvrières de Bergère de France sont aussi actionnaires. Aux portes de la ville, on ne peut pas louper l’une des dernières filatures de laine du pays. C’est une institution depuis 1946. Mais l’usine meusienne, qui a compté jusqu’à 800 personnes à la grande époque, a bien failli disparaître en 2024.
Après sa liquidation pour des raisons économiques, l’entreprise a été reprise en octobre 2024 en Société coopérative de production (Scop) par 56 salariés-associés. Un projet encouragé par le nouveau PDG, Jean-Michel Nicolas. « On a dû repartir de zéro, renégocier tous les contrats et se battre au tribunal de commerce, raconte-t-il. Tout le monde a mis la main à la pâte, avec au bout, une belle aventure humaine. » Elle cherche désormais un équilibre financier. (...)
Même s’il a été parmi les premiers à lancer la Scop, Fabien Joannes n’est pas « en costard-cravate, mais en tenue comme [s]es gars ». « Plutôt que de voir un concurrent ou un fonds d’investissement décider de notre sort, on a préféré se démener », dit-il.
Les ballots de laine, venus d’Uruguay (l’acrylique provient du Portugal), sont d’abord teintés et essorés. La matière est ensuite filée, puis assemblée pour créer un fil de laine, puis des pelotes. Plus loin, des salariés préparent les commandes pour les clients. (...)
La marque de laine Phildar avait aussi une proposition de rachat de l’usine, « mais ils ne voulaient garder que le service création et le nom. Ils auraient tout fait faire à l’étranger et on se serait retrouvés sur le carreau, dit le responsable de maintenance. Et bon courage pour réintégrer une autre boîte dans le coin. Par ici, ça n’embauche pas, c’est sinistré ».
Pour intégrer la Scop, les employés ont dû investir 15 % de leur prime de licenciement. Même quelques-uns, à un an de la retraite, ont pris des parts dans l’entreprise.
« Que l’on soit ouvrier, contremaître ou cadre, on aura tous le même dividende à la fin » (...)
Depuis la reprise en coopérative, les ouvriers sont complètement polyvalents. De l’assemblage de la laine à l’envoi des colis, en passant par la fabrication des catalogues et la confection des pelotes, ils touchent à tout.
« Avant, c’était chacun sa place sur la chaîne, on ne bougeait pas de sa machine, dit Fabien Joannes. Aujourd’hui, je m’occupe des espaces verts, mais je parle aussi à la Région pour trouver des financements. »
« C’est plus convivial, on est moins grognons » (...)
Chez Bergère de France, on est dans les derniers à revendiquer des pelotes françaises et un savoir-faire unique. « Ici, tout le monde connaît l’entreprise », dit Florence Thiriot, l’ancienne gérante de la mercerie Aux Articles de Paris, à Bar-le-Duc.
« On espère que ça va durer, je croise les doigts pour eux, poursuit-elle. Mais il n’y a pas de raison, la laine est redevenue complètement tendance. Tricoter, c’est avoir un pull chaud et unique, qui sort de l’ordinaire. Mais c’est surtout un acte durable et écoresponsable », à rebours de la fast-fashion et de ses conséquences désastreuses pour l’emploi textile en France.
Une ancienne salariée de Bergère, Céline, devrait bientôt reprendre sa boutique pour commercialiser la marque iconique. « Bien sûr que ça va continuer. Avec les Scop, les gens vont reprendre leur destin en main, s’enthousiasme Fabien Joannes. Quand je parle aux gens d’ici, ils nous disent : sauver une boîte comme ça, chapeau bas ! Mais ce n’est pas impossible. La preuve, on le fait ! »