
Pour la directrice exécutive de Human Rights Watch, Tirana Hassan, dont l’organisation publie jeudi son rapport annuel, l’action de Pretoria devant la Cour internationale de justice contre Israël est une étape importante pour la crédibilité du système international des droits humains. Entretien
L’ONG Human Rights Watch (HRW) publie jeudi 11 janvier son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. S’il concerne une centaine de pays, sa directrice exécutive, Tirana Hassan, en profite également pour analyser les tendances de l’année 2023, dominée par la situation au Proche-Orient. (...)
Le rapport est dévoilé le jour même où la Cour internationale de justice (CIJ), c’est-à-dire la cour de justice des Nations unies, entame l’examen des accusations d’actes de génocide portées par l’Afrique du Sud contre Israël. Tirana Hassan évoque avec Mediapart cette actualité, mais aussi l’indignation sélective, le deux poids, deux mesures et le rôle indispensable, mais combattu par nombre de pays, des organisation de défense des droits humains. (...)
Tirana Hassan : Le droit international est un ensemble de principes qui s’appliquent à tous. Et il s’agit maintenant de veiller à ce qu’il n’y ait plus deux poids, deux mesures face aux pires crimes et à ceux qui se déroulent sous nos yeux. Il y a eu des différences radicales entre les réponses de la justice internationale au conflit en Israël et en Palestine et celles qui ont suivi l’invasion massive de l’Ukraine en 2022. Et cela met en lumière la différence de traitement lorsqu’il s’agit de l’accès des victimes à la justice. (...)
En ce qui concerne l’Ukraine, il y a eu un élan de soutien, à la fois politique et financier, énorme et bienvenu, ainsi qu’une assistance pratique pour s’assurer que les crimes commis dans le cadre du conflit allaient être jugés. Mais nous n’avons pas vu le même type d’enthousiasme et d’engagement pour garantir la justice et pour que des comptes soient rendus, à la Cour pénale internationale ou ailleurs, lorsqu’il s’agit des crimes graves commis en Israël et à Gaza. (...)
Nous voyons aujourd’hui que la Cour internationale de justice a été saisie par l’Afrique du Sud dans un dossier lié à la question du génocide. C’est une chose positive, parce qu’au lieu de l’impunité pour des cycles d’abus, l’Afrique du Sud cherche à briser ce cycle. (...)
Pour l’essentiel, ce qui va être examiné, ce sont les actions d’Israël à Gaza, en s’appuyant sur la convention sur le génocide. Avec cette mesure, l’Afrique du Sud espère que la Cour internationale, qui est la plus haute instance judiciaire des Nations unies, apportera des réponses claires et définitives à la question de savoir si Israël commet un génocide. C’est pour cela que nous parlons de l’égalité des droits humains et de l’arrêt de la politique des deux poids, deux mesures. (...)
La question ne concerne pas seulement les pays occidentaux. C’est un peu un mythe. Tous les pays sont concernés. Certains États ont fermement condamné ce qui s’est passé en Israël, mais se sont montrés plus discrets sur la réponse à apporter à la violence à Gaza. Dans un certain nombre de cas, les pays qui ont condamné la violence en Israël sont restés silencieux sur les crimes contre l’humanité commis en Chine, où plus de un million de Ouïghours sont persécutés par les autorités chinoises dans la province du Xinjiang.
Nous en appelons donc à la communauté internationale pour qu’elle se prononce sur tous les crimes de guerre, des crimes qui sont d’une telle gravité qu’il n’est pas question de procéder à une sélection lorsqu’il s’agit de les combattre. (...)
La diplomatie transactionnelle est essentiellement le fait de gouvernements qui ont décidé de mettre de côté leurs obligations en matière de droits humains en échange de gains politiques à court terme. Par exemple, ils sont motivés par le fait de fermer les yeux sur les violations des droits humains au Rwanda en échange d’accords de sécurité ou d’accords commerciaux. Cela érode la confiance dans le système, mais perpétue également les violations des droits humains dans les pays, car cela envoie le message qu’elles sont acceptables, ce qui ne fait qu’enhardir leurs auteurs. (...)
On voit ainsi des pays comme le Royaume-Uni qui, au lieu d’interpeller le Rwanda sur son terrible bilan en matière de droits humains, essaie de faire des affaires avec lui pour expulser des réfugiés et migrants, ce qui est une parfaite illustration de diplomatie transactionnelle. (...)
Notre rôle est plus important que jamais, car l’une des menaces auxquelles nous sommes confrontés est que nous entrons dans un monde où les faits sont de plus en plus discutés. La combinaison des menaces de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux signifie que l’accès à une information véridique et vérifiée va devenir plus difficile. Les organisations de défense des droits humains jouent donc un rôle important en documentant les faits, en les diffusant dans le monde et en mobilisant les gouvernements et les décideurs du monde entier pour qu’ils agissent et garantissent leur protection. (...)
l’une des tendances que nous avons observées en 2023 est la répression. Les gouvernements s’en prennent de plus en plus à la société civile et aux groupes de défense des droits humains, rendant plus difficile la réalisation d’enquêtes indépendantes. (...)
Human Rights Watch a déployé des chercheurs en Israël dans les deux jours qui ont suivi le 7 octobre pour mener des enquêtes sur les abus. Nous traitons la guerre en Israël et à Gaza avec les mêmes méthodologies de recherche, avec la même neutralité que pour les autres conflits dans le monde entier. (...)
Notre priorité est la protection des civils pris dans un conflit. Nos enquêtes, tant sur ce qui s’est passé le 7 octobre dans le sud d’Israël que sur ce qui se passe actuellement à Gaza, se poursuivent.