
2010, les identitaires ont le vent en poupe. Le mouvement cumule une ligne idéologique radicale et une image moderne. Et vont, grâce à des coups d’éclats médiatiques largement contribuer à mettre au cœur du débat public un discours anti-musulman. Samuel Bouron, aujourd’hui sociologue et maître de conférences à l’université Paris-Dauphine-PSL est à l’époque encore étudiant. Au hasard d’une étude de terrain en Picardie, il découvre ce mouvement. Après avoir échoué à convaincre les identitaires du coin de répondre à des entretiens sociologiques, il change de stratégie et s’infiltre pendant un an au sein de ce qui donnera Génération identitaire (GI).
Plus de dix ans après, il évoque cette expérience dans le livre Politiser la haine, la bataille culturelle de l’extrême droite identitaire (éditions La Dispute). Dans un café, à deux pas des Puces de Clignancourt (93), il revient en détail pour StreetPress sur cette expérience.
C’est quoi ta première rencontre avec les identitaires ?
J’ai très simplement envoyé un mail en expliquant que j’avais vu les actions qu’ils avaient faites. Je n’ai pas changé mon nom et j’ai expliqué que je faisais aussi une thèse en sociologie et sciences politiques. Mais j’ai mis en avant certains aspects de ma biographie : le fait que je faisais de la boxe thaï ou que j’avais des grands-parents Vendéens… Ils m’ont invité dans leurs locaux du 15e arrondissement pour un entretien avec ce qu’ils appellent « un parrain », qui était membre du projet Apache, leur section parisienne. C’était un rendez-vous visant d’abord à s’assurer que je n’étais pas un infiltré.
C’est raté !
Effectivement. (...)
La deuxième phase a été de participer à un camp identitaire. C’est une semaine en Bretagne, en plein été, dans une maison qu’ils avaient à l’époque. (...)
C’est un mix entre un cadre mi-scout, mi-militaire. La journée commence toujours par un coup de sifflet. On se met tous en rang et on fait un footing. Et puis, il y a des conférences sur des thèmes comme l’Islam ou appréhender le monde de la gauche… Il y a aussi des cours plus pratiques : apprendre à faire un communiqué de presse, comment on fait une action qui va susciter le buzz, faire des pochoirs, faire une bannière pour une manif, prendre la parole en public…
Ils ont un vrai savoir-faire en matière de communication ?
Tout à fait. (...)
Et vous êtes combien à ce camp d’été ?
85, dont cinq filles.
Ça reste très masculin…
À l’époque, il me semble que c’est très difficile d’être une femme identitaire. Les militantes sont les copines de, ou fille de. Elles ont une place assez secondaire et subalterne. Les identitaires sont encore dans une filiation assez traditionnelle. Je dirais même fasciste car ils reprennent par exemple à Guillaume Faye [intellectuel d’extrême droite du courant la Nouvelle droite] l’idée que l’un des facteurs du déclin de la civilisation occidentale serait l’existence d’une hybridation, un mélange croissant des genres entre hommes et femmes. Il faudrait donc se re-viriliser. Cet héritage, on le retrouve notamment chez les youtubeurs masculinistes aujourd’hui. (...)