
Manifestations, violences contre les étrangers, "prédiction de chaos"... Ces dernières semaines, la Bulgarie fait face à une vague de fausses informations concernant les migrants à l’approche de l’adhésion partielle à l’espace Schengen prévue fin mars. Le gouvernement répète pourtant inlassablement qu’il n’y a pas eu "de flux migratoires sans précédent" en Bulgarie, contrairement aux affirmations d’une partie de la classe politique.
Chaque semaine ou presque, l’opposition bulgare agite la même menace : celle de voir le pays des Balkans, le plus pauvre de l’Union européenne (UE), transformé en "dépôt à migrants". "Nous allons devenir le plus grand camp de réfugiés au monde", a lancé en janvier le responsable du parti ultra-nationaliste prorusse Vazrajdane (Renaissance), Kostadin Kostadinov.
La question migratoire a surgi dans le pays peu après la levée du veto autrichien à l’accession de Sofia et Bucarest à l’espace Schengen. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2023, les Vingt-Sept avaient annoncé que la Bulgarie et la Roumanie allaient partiellement intégrer l’espace de libre circulation. À partir du 31 mars, les contrôles aux frontières aériennes et maritimes, internes à l’UE, seront donc levés avec ces deux États - une nouvelle décision doit être prise pour choisir la date de levée des contrôles aux frontières terrestres. (...)
En contrepartie, Vienne a demandé que les deux pays "reprennent immédiatement tous les demandeurs d’asile et les réfugiés dont ils sont responsables" mais qui ont poursuivi leur voyage vers l’Autriche, en vertu du règlement Dublin. Selon le texte, les demandes d’asile doivent être traitées par le premier pays d’arrivée des migrants dans l’UE (...)
Le parti ultra-nationaliste n’est pas le seul à user de fausses informations pour décrédibiliser le pouvoir. Les socialistes sont eux aussi entrés dans la danse des infos.
Après une récente décision d’expulsion de l’Allemagne, ils ont accusé le gouvernement de muer le pays en "colonie pénitentiaire pour les criminels, les assassins, les violeurs et les blanchisseurs d’argent". En réalité, il s’agissait de quelques Bulgares libérés après avoir purgé leur peine, ont précisé le ministère de l’Intérieur bulgare et les responsables bavarois. (...)
Dix-huit Syriens, dont des enfants âgés de quatre à six ans, ont également été renvoyés vers Sofia mais ils n’avaient jamais été condamnés en Allemagne à des délits graves.
Certains élus de différents partis ont également diffusé sur les réseaux sociaux des vidéos hors contexte montrant des "migrants frappant de jeunes Bulgares" dans une rue piétonne de la capitale - un incident que la police a décrit comme une altercation entre deux groupes qui se connaissaient.
Des représentants de petits partis se sont même rendus à l’aéroport pour réserver un accueil musclé à des avions transportant prétendument des "hordes de migrants", postant des photos à l’appui. (...)
La semaine dernière, dans un message publié sur Facebook, le gouvernement a réfuté l’existence "de flux migratoires sans précédent" en Bulgarie. (...)
Dans ce climat délétère, des incidents ciblant les étrangers ont été recensés à Sofia et près de Plovdiv, la deuxième ville du pays. Des manifestations ont aussi été organisées, appelant à chasser les migrants "hors de Bulgarie". Au point que le gouvernement a décidé de renforcer la présence policière dans la capitale et autour des centres de réfugiés.
"Les mots se répercutent dans le réel", analyse pour l’AFP Ildiko Otova, chercheuse de l’université de Sofia. "Il n’y a pas de crise" migratoire, mais un "récit de crise qui pose une véritable menace pour la sécurité". (...)
En avril 2022, les gendarmes turcs ont retrouvé 84 migrants refoulés par les autorités bulgares. Les exilés étaient à demi-nus et tentaient de se protéger du froid avec des sacs.
En décembre de la même année, une enquête du Monde et d’un consortium de journalistes européens avaient révélé l’existence d’un lieu de détention illégal utilisé par les garde-frontières bulgares pour retenir les personnes étrangères à proximité de la frontière turque. Des exilés y ont été enfermés dans un cage, dans des conditions sanitaires déplorables et ont été soumis à des violences avec des chiens.
Ces violences répertoriées ces dernières années en Bulgarie sont connues de l’agence européenne de surveillance des frontières. Des documents internes à Frontex, que s’est procuré le Monde en février 2024, font état du cas de demandeurs d’asile "obligés de retourner en Turquie à la nage, même s’ils n’ont pas les compétences ou la force pour le faire".
InfoMigrants a aussi récolté plusieurs témoignages de migrants racontant les violences subies à la frontière. (...)