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Mediapart
Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible
#budget #Bayrou #dette #austerite #servicespublics
Article mis en ligne le 20 janvier 2025
dernière modification le 18 janvier 2025

Comme son prédécesseur, François Bayrou propose pour 2025 une baisse des dépenses publiques jamais vue. Il estime que la situation des comptes du pays ne lui donne pas d’autre choix. Ce qui n’est pas exact.

(...) C’est donc un effort budgétaire de plus de 50 milliards d’euros que le gouvernement Bayrou compte appliquer au pays en 2025 pour atteindre un déficit public de 5,4 % du PIB. Un tel coup de rabot aura nécessairement un impact négatif sur l’activité. Pour rappel, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que le budget Barnier – dont l’effort global présenté était d’environ 60 milliards d’euros – aurait coûté en termes de croissance 0,8 point de PIB à la France en 2025. (...)

François Bayrou a aussi confirmé qu’il comptait faire passer le déficit en dessous de 3 % du PIB en 2029, soit un effort supplémentaire d’environ 100 milliards d’euros dans les années à venir. « Si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question du rééquilibrage des finances publiques, alors tout ce que nous ferons par ailleurs sera vain », a martelé le premier ministre qui, rappelons-le, a fait de la dette publique son principal combat politique depuis de nombreuses années.

Problème : « réaliser 150 milliards économies d’ici à 2029 – en incluant 2025 – est un choc massif qui représente un effort trop important, à mon sens, pour les services publics (santé, éducation, etc.). Cela risque de faire vraiment très mal », estime François Geerolf, économiste à l’OFCE.

Procédure de déficit excessif

Mais c’est un mal nécessaire, nous disent le gouvernement et ses alliés. D’abord parce que la dette a atteint un niveau qu’ils jugent inacceptable – 3 300 milliards d’euros – et que les déficits publics se sont envolés – plus de 6 % en 2024, après 5,5 % en 2023. Ensuite, les marchés financiers commenceraient à spéculer sur la dette français (...)

Enfin, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par le Conseil de l’Union européenne au cours de l’été 2024. Bref, « si nous voulons être cohérents avec nos engagements européens et la crédibilité de la France, nous devons faire un effort important », a martelé le 15 janvier sur BFMTV le très éphémère ministre macroniste de l’économie Antoine Armand. (...)

Même le Parti socialiste (PS) semble partager ce constat, puisqu’il n’a pas voté le 16 janvier la motion de censure du gouvernement Bayrou. Ce dernier a certes promis au PS de réduire sa cure d’austérité d’environ 3 milliards d’euros en 2025, dont 2 milliards sur l’hôpital public et les remboursements d’assurance-maladie, ainsi que de rouvrir les discussions sur la réforme des retraites de 2023. Mais sans pour autant perturber ses grands équilibres budgétaires pour 2025. Cela a pourtant suffi à s’éviter la censure du centre-gauche, qui se résigne donc à cette cure d’austérité inédite pour 2025.

Un autre horizon est possible

Est-ce là une preuve que la politique budgétaire proposée par François Bayrou est la seule possible, vu le contexte actuel bouillant ? pas forcément. D’abord, disons-le, il n’est pas question ici de contester ici l’état préoccupant de la situation budgétaire de la France. « La situation des finances publiques est insatisfaisante », confirme Benjamin Lemoine, sociologue chercheur au CNRS et expert du sujet de la dette.

Mais le problème, selon lui, est que « le diagnostic est systématiquement mal posé, et ce sciemment : ce sont les services publics et l’État social qui sont sur le banc des accusés du déficit public ». Or, les vrais « responsables de l’appauvrissement de l’État » sont les politiques de l’offre menées depuis dix ans, faites de « baisses délibérées des recettes et des cotisations ». Politiques qui, pour le gouvernement actuel et ses prédécesseurs, « restent considérées comme l’horizon indépassable de l’attractivité et de la compétitivité de l’économie française », déplore Benjamin Lemoine.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches, tout en serrant la vis côté dépenses sociales (chômage et retraites notamment). Ces baisses d’impôts, pointées récemment dans un rapport de la Cour des comptes sur les finances locales, sont en grande partie responsables de l’assèchement des recettes fiscales. Or c’est ce manque de recettes fiscales qui a creusé un trou béant de quelque 50 milliards d’euros dans les comptes publics entre septembre 2023 et la fin 2024.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que ce dérapage incontrôlé des finances publiques n’a pas joué dans la décision du chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale début juin afin que son camp n’ait pas à assumer seul, lors des discussions budgétaires de l’automne 2024, l’échec cuisant de sa politique de l’offre. (...)

Or, c’est en réaction à la dissolution que les marchés financiers ont commencé à s’inquiéter et que les taux de la dette française ont anormalement grimpé. Et dans la foulée, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par Bruxelles. Bref, en quelques mois la situation budgétaire s’est considérablement dégradée par la seule faute de l’exécutif en place. Problème : pour y remédier, François Bayrou nous dit qu’il faut continuer à faire comme avant, tout en baissant encore davantage les dépenses car « la dette est une épée de Damoclès au-dessus du pays ».

Pour les économistes critiques de cette politique de l’offre austéritaire, il y a donc tout un discours à déconstruire. D’abord, la dette n’est pas « un fardeau » comme on l’entend trop souvent, rappelle Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre des Économistes atterrés.

« « Il faut raisonner de manière plus globale. Il y a certes un niveau de dette de 52 000 euros par personne en France. Mais en face de cette dette, il y a un actif – les infrastructures publiques, les hôpitaux, les écoles, etc. – dont la valeur est supérieure ! Ainsi, selon les calculs d’économistes faits récemment, chaque français naît en fait avec une richesse nette de 12 000 euros par personne. » » (...)

Un autre angle mort du débat public est l’aspect distributif incroyablement injuste. En effet, « dans le cas précis de la France, la dette distribue des revenus du bas vers le haut », nous dit Benjamin Lemoine (...)

En effet, en baissant les taxes sur les riches et les grandes entreprises, les derniers gouvernements ont fait grimper les déficits, et donc l’État s’est endetté. Sauf que ce sont ensuite les plus riches, ceux-là même qui ont vu leurs comptes en banque gonfler grâce aux baisses de taxes, qui achètent les titres de dette publique – via leur assurance-vie ou un autre véhicule financier – dont ils perçoivent des intérêts ! Les riches sont donc doublement gagnants.

En revanche, pour les plus démunis et les classes moyennes, c’est l’inverse. (...)

Ce seul mécanisme pervers devrait questionner les politiques économiques d’austérité qui sont menées. Et laisser la porte ouverte à un nouvel horizon où les riches seraient davantage mis à contribution, et les politiques de relance par l’investissement public ne seraient plus tuées dans l’œuf. (...)

« Si vous avez une dette publique importante mais beaucoup d’épargne du côté privé, comme c’est le cas de la France où le taux d’épargne des ménages est de 18 %, il n’y a aucune raison de connaître une crise de la dette », tempère François Geerolf.

Pour le dire trivialement, ajoute l’économiste, « quand les riches ne savent pas quoi faire de leur argent, et ce n’est pas le cas qu’en France, ils l’épargnent et cela aide à soutenir la dette publique. Ce n’est pas pour rien que les agences de notation sont attentives à cet indicateur du taux d’épargne privée… ».

Que ce soit par des résidents ou des étrangers, la dette française reste d’ailleurs très demandée sur les marchés financiers. (...)

En outre, il faut savoir que les créanciers de la France n’ont pas intérêt à spéculer à outrance sur sa dette publique. (...)

Enfin, l’éléphant dans la pièce de ce débat est le rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Car depuis 2015, elle intervient massivement à chaque emballement des marchés sur les dettes des pays de la zone euro, afin d’éviter de revivre le calvaire de la crise grecque. Elle l’a montré récemment en intervenant pour sauver l’Italie. Et il semble impensable qu’elle n’en fasse pas de même pour la France, si cela se révélait nécessaire.

« La force de frappe de la BCE est en capacité de calmer les marchés à tout moment, parce que laisser dévisser trop longtemps la France porte un risque systémique : pour le système bancaire et l’ensemble de la zone euro », confirme Benjamin Lemoine.
Tutelle des technocrates

Cependant, prétendre qu’une politique budgétaire diamétralement opposée à celle menée par François Bayrou serait sans conséquence du point de vue des marchés ne serait pas exact. « Il y a un ambiguïté maintenue délibérément sur le risque financier de la France », pointe Benjamin Lemoine. (...)

que ce soit à la BCE ou à Bruxelles, l’austérité budgétaire est préférée car elle relèverait du bon sens. Or, conclut Benjamin Lemoine, « ces orientations n’ont rien de neutre, elles servent socialement les intérêts des plus aisés et sont, pour ces raisons-là, au goût des marchés financiers et de la technostructure européenne ». Et aussi de François Bayrou.

Un risque financier, vraiment ?