
Outil stratégique pour mettre en œuvre son projet d’« union des droite », Vincent Bolloré remodèle les éditions Fayard sur le même modèle que ses médias. Afin d’enrayer les rouages de cette dynamique, des collectifs s’organisent, appelant à « Désarmer Bolloré » ou à le « déborder ».
En novembre 2023, Vincent Bolloré finalisait l’acquisition de Hachette Livre, premier groupe d’édition en France. Seulement un an plus tard, en novembre 2024, la maison d’édition Fayard – une des maisons d’édition phares d’Hachette – publiait le premier livre de Jordan Bardella, président du Rassemblement national.
En l’espace d’un an, Vincent Bolloré a profondément remodelé la maison d’édition Fayard, appliquant des méthodes déjà éprouvées au sein de ses médias. La nomination de Lise Boëll (ex-éditrice de Éric Zemmour) à sa tête, en juin 2024, illustre ce que certains analystes décrivent comme la « stratégie du putois » : imposer une figure controversée à la direction afin de provoquer des départs et redéfinir l’orientation éditoriale.
De Cnews à Fayard : une même stratégie éditoriale, un seul écosystème (...)
Aujourd’hui, cette stratégie se met au service des intérêts russes. Le 5 mars 2025, les éditions Fayard publient en effet le livre de Xenia Fedorova ex-directrice de Russia Today (RT) en France, chaîne de télé interdite en 2022 à la suite de l’invasion russe en Ukraine. Actrice majeure de la propagande pro-russe[4], Xenia Fedorova a bénéficié en un temps record d’une intégration totale dans l’empire médiatique de Vincent Bolloré, comme l’explique Libération (...)
Cette omniprésence de Xenia Fedorova dans les médias de Bolloré illustre la force de frappe de son écosystème médiatico-éditorial. Comme l’écrit Marie Bénilde dans son livre Le Péril Bolloré (à paraître le 7 mars aux éditions La Dispute), « au cœur du projet de Vincent Bolloré se trouve la recherche d’influence ». De CNews à Fayard, son empire y joue un rôle clé.
Fayard au service de l’« union des droites » (...)
Dès lors, un art secret de la résistance se développe au sein de Fayard, comme ces exemplaires du JDNews mis à disposition par la direction dans le hall de la maison d’édition qui sont régulièrement déchirés ou jetés par des salariés. La résistance se glisse jusque dans les toilettes : « On avait mis des produits hygiéniques à disposition dans les toilettes des femmes. Mais Lise Boëll ne supportait pas ça et les jetait systématiquement à la poubelle. Plus elle les jetait, plus on en mettait. Et elle est entrée dans une colère folle avant de se résigner. La résistance contre les fachos se fait aussi à coup de tampons et de serviettes ».
« Déborder Bolloré »
Hors de Fayard, des mobilisations se font jour dans le monde du livre. Des libraires s’engagent à ne plus mettre les livres du groupe Hachette en rayon, et du côté de l’édition indépendante, la résistance s’organise : un recueil de textes intitulé Déborder Bolloré, à paraître en juin (144 pages, 10 euros), coédité par un collectif de maisons d’édition indépendantes, vise ainsi à aborder une « réflexion générale pour démanteler cet empire »[16].
À la puissance économique du groupe Bolloré, les éditeurs indépendants souhaitent répondre par la force du nombre : « si, à lui seul, Vincent Bolloré se montre capable de mobiliser des moyens logistiques et médiatiques colossaux pour mener sa "guerre civilisationnelle", alors nous devons, de notre côté, mobiliser l’entièreté de notre réseau d’éditeurices, de diffuseurs, de libraires, et de relais médiatiques pour y résister », affirment les auteurs du projet. (...)
. Derrière la campagne d’actions visant à « Désarmer Bolloré », qui a vu le jour en juillet 2024, on trouve une coalition de plus d’une centaine de collectifs de tous horizons : écologistes (Alternatiba, Extinction Rebellion France, Les Soulèvements de la terre…), antifascistes (Action antifasciste Paris – banlieue), féministes, syndicalistes, etc. Derrière la campagne d’actions visant à « Désarmer Bolloré », qui a vu le jour en juillet 2024, on trouve une coalition de plus d’une centaine de collectifs de tous horizons : écologistes (Alternatiba, Extinction Rebellion France, Les Soulèvements de la terre…), antifascistes (Action antifasciste Paris – banlieue), féministes, syndicalistes, etc
Certaines actions de ce collectif sont organisées spécifiquement contre Hachette[18], ou les magasins Relay[19]. Une action consistant à insérer des marque-pages appelant au boycott dans les livres d’Hachette a été très suivie dans toute la France, et a poussé la direction de la communication de Lagardère à partager aux employés des Relay une note interne pour prévenir ces « actions malveillantes »[20].
Au-delà du secteur de l’édition, certaines batailles ont abouti à des victoires notables. Ces dernières années, le collectif Sleeping Giants a signalé de nombreuses séquences problématiques diffusées sur CNews et C8 à l’Arcom. Ces signalements ont entraîné une série de mises en demeure et de sanctions à l’encontre des deux chaînes. En bout de course, cette pression a pesé dans la balance lors de la décision de l’Arcom de ne pas renouveler les fréquences de C8 sur la TNT[21]. Le 28 février 2025, la chaîne a cessé d’émettre. Un dénouement qui illustre que des victoires restent possibles face au rouleau-compresseur Bolloré.