
L’incroyable manipulation boursière qui a accompagné la volte-face de Donald Trump sur les droits de douane met en lumière l’émergence d’une nouvelle classe dominante qui ne cache plus ses travers et fait de la corruption, du vol et des arnaques le fondement de sa politique.
LaLa scène pourrait avoir été tirée d’un journal satirique en manque d’inspiration et de finesse. Le président des États-Unis, dont la récente décision de suspendre une partie des droits de douane a violemment fait rebondir les marchés, salue dans le bureau Ovale, pouce en l’air et sourire aux lèvres, un financier avec ses mots : « Il s’est fait 2,5 milliards de dollars ! » Elle est pourtant réelle.
Le 10 avril, Donald Trump a tapé dans le dos d’un des plus grands financiers de Wall Street, Charles Schwab, en le félicitant de son pactole de 2,5 milliards de dollars encaissé la vieille. Un bénéfice sans doute dû au plus grand des hasards alors que, selon le Wall Street Journal, c’est ce même Charles Schwab qui, lors d’un déjeuner, aurait convaincu le président états-unien de revenir en arrière.
Pour les milliardaires les plus proches de Donald Trump, la Maison-Blanche est maintenant une sorte de tripot où le patron accepte de truquer les machines à sous pour leur garantir les gains. Et cette anecdote, aussi énorme soit-elle, n’est pas la seule preuve que les malfrats peuvent être directement au pouvoir.
En début d’année, le président argentin Javier Milei, désormais une coqueluche de la droite et de l’extrême droite mondiale, a été également pris dans une histoire d’arnaques aux cryptoactifs où il a joué un rôle central. (...) Le président argentin s’est donc transformé 14 février en vulgaire influenceur qui n’était que le bras armé d’une manipulation de cours. (...)
La fusion de l’État et des malfrats
Dans les deux cas, la fonction de chef de l’État est utilisée pour gagner de l’argent rapidement, grâce à des procédés illégaux ou à la limite de la légalité. C’est bien ce qui différencie ces méthodes du classique « capitalisme de connivence ». Car, bien sûr, il n’a jamais existé de capitalisme moralement pur ailleurs que dans le cerveau des économistes. (...)
L’ère néolibérale était ainsi très corrompue, mais cette corruption était placée sous la chape de plomb d’une justice issue du marché. La version officielle de l’État néolibéral racontait que le marché fonctionnait comme une institution de justice qui attribuait à chacun son dû selon son mérite. Il fallait donc des instances de surveillance de ces marchés. Cela n’empêchait nullement la corruption, mais elle devait se faufiler derrière ce récit officiel. (...)
Avec Trump et Milei, il n’est plus question de s’embarrasser d’une telle fiction. Il suffit d’être proche du pouvoir pour rafler la mise au vu et au su de tout le monde. On ne s’encombre même plus de concepts tels que la « méritocratie ». (...)
La logique n’est pas si éloignée d’un fonctionnement mafieux. C’est un capitalisme de malfrats qui renvoie un autre récit à la population : la « magouille » est une forme plus que légitime d’enrichissement et l’État est une proie comme une autre. (...)
quand on essaie de saisir le contexte qui a créé Trump et Milei, les choses deviennent claires. Les déficiences du néolibéralisme et sa corruption ont affaibli son récit central. Les péronistes argentins et les démocrates états-uniens n’étaient pas les derniers à patauger dans la corruption.
Plus profondément, l’échec économique du néolibéralisme a conduit au renforcement de la rente, donc de la nécessité de contourner le marché comme source de revenus. Ce capitalisme prédateur vise la rente suprême, celle de l’État, qui permet toutes les malversations. Et logiquement pour faire de l’État cette proie ultime, il faut en finir avec l’État de droit, avec l’indépendance de la justice et avec les régulations.
On comprend alors comment ce nouveau régime mafieux s’est mis en place. En jouant sur l’échec complet des néolibéraux, les secteurs rentiers de l’économie ont dressé l’opinion contre l’État de droit – souvent en utilisant le levier xénophobe – pour s’emparer du pouvoir politique. Les clowns d’extrême droite arrivés au pouvoir servaient parfaitement cette stratégie : leur excentricité apparaissait comme « antisystème » et le caractère un peu « rebelle » de leur personnalité venait flatter la partie de la population qui s’estimait la plus déçue et trompée par le système. (...)
La pseudo-justice du marché laisse alors place à la loi du plus fort, c’est-à-dire du plus apte à tromper son prochain pour gagner le plus d’argent.
La grande lessive des règles et des institutions (...)
Et, sans surprise, c’est en matière d’argent sale que le pouvoir trumpien s’est particulièrement attardé durant ses premiers cent jours. En février, Trump a signé un décret demandant une révision approfondie des lois anticorruption, vieilles de près de cinquante ans. Il estime que ces dispositions constituent un handicap pour les groupes états-uniens par rapport à leurs rivaux étrangers. Un nouveau texte doit être établi par le ministère de la justice. D’ores et déjà, il vise à supprimer les délits de corruption par agent étranger, les délits de pots-de-vin et de commission occultes, le blanchiment d’argent, et le contrôle des provenances des capitaux. La fameuse règle du « KYC » (« know your customer », pour « connais ton client ») pourrait disparaître à plus ou moins brève échéance.
La SEC a également dû renoncer à toutes les mesures et règlements existants ou en préparation sur le contrôle des cryptoactifs. (...)
Pour finir, Donald Trump s’est empressé dès son arrivée de changer les responsables des autorités antitrust. Son but est de supprimer un certain nombre de verrous légaux sur les concentrations d’entreprises, en particulier pour les grandes firmes technologiques. (...)
Ces différentes mesures ont conduit à de nombreuses démissions des responsables de la SEC, des autorités antitrust, estimant qu’ils n’étaient plus en mesure de faire leur travail. De son côté, Elon Musk, dans le cadre de Doge, le département de l’efficacité gouvernementale, s’emploie à diminuer le pouvoir d’enquête et de contrôle de toutes ces autorités et agences fédérales. La SEC a déjà perdu 12 % de ses effectifs. Elon Musk ambitionne désormais de supprimer 25 % de ses effectifs.
Trump et Musk, symboles du capitalisme de malfrats
Ce type de logique s’inscrit dans une aggravation des tensions internes au capital. (...)
En s’empressant de vouloir assurer les profits de certaines entreprises par les droits de douane, Donald Trump est ainsi venu causer le chaos dans une économie mondiale déjà sous pression. Mais pour ces malfrats, le chaos fait partie du projet parce qu’il multiplie les proies possibles pour la spéculation, la rente et la corruption.
Briser les règles pour vivre mieux
Que devient l’État aux mains de cette « lumpenbourgeoisie » ? Il change entièrement de fonction. Dans le néolibéralisme, il pouvait être une forme d’arbitre entre les intérêts de la classe dirigeante. Désormais, c’est une arme dans les mains d’une partie de cette dernière, celle qui est sans foi ni loi et qui a accès au président. La destruction en règle de l’appareil administratif sous couvert de « libération » n’a d’autre fonction que de permettre cette évolution en faisant disparaître tout contre-pouvoir et en réduisant à néant toute redistribution sociale. En étant une proie des intérêts des secteurs rentiers, l’État devient lui-même un point d’appui des malfrats qui s’en sont emparés. Il leur garantit des revenus et des protections.
Là encore, il est logique qu’une partie de la classe dominante soit effrayée par cette prise de pouvoir qui vise explicitement à l’affaiblir. Mais il ne faut pas non plus oublier que cette lutte est le produit même de l’incapacité du néolibéralisme à produire du bien-être pour les masses et à redresser la croissance pour le monde du capital. C’est sur cet échec que cette « lumpenbourgeoisie » a prospéré et a pu s’emparer de la première économie du monde. (...)
Pour les malfrats d’extrême droite, il suffit alors de mettre en avant la « liberté » contre l’État et les lois pour capter des voix.
La position de ces malfrats est donc ambivalente vis-à-vis de la classe dominante. Cette dernière les présente comme des ennemis et ils le sont souvent concrètement. Mais ils ont aussi une fonction de sauvegarde de la domination du capital. D’abord, par les politiques qui sont menées, par exemple en Argentine ou par les mesures de dérégulations évoquées plus haut.
Ensuite parce qu’ils permettent de concentrer la lutte entre ces deux pôles du capital. La fonction principale de Donald Trump est de faire regretter le temps d’avant le chaos, celui de la domination néolibérale. Et de cette façon, l’échec du néolibéralisme est oublié. Mieux encore, une unité défensive se forme dans la société contre les bandits pour revenir au statu quo ante qui est une sorte de dénominateur commun entre les oppositions. Mais ce monde de gangsters qui est celui de Donald Trump n’est pas le fruit d’un malheureux accident. Il est le produit de ce faux « paradis perdu » du néolibéralisme.