
Défiant l’horreur des faits, une solidarité sans borne s’est créée entre certaines victimes du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec, qui a reconnu des viols et agressions sexuelles sur 299 personnes. Une lueur d’humanité dans un procès qui en manque cruellement.ll
VannesVannes (Morbihan).– Une, deux, puis trois mains se posent sur les larges épaules de Kevin, tandis qu’il s’effondre sur le banc des parties civiles. À la barre, ce 24 avril, le trentenaire a su tenir la promesse qu’il s’était faite : ne pas perdre le contrôle – ne rien céder à cet homme qui tente d’accrocher son regard depuis le box des accusés : Joël Le Scouarnec, l’ex-chirurgien jugé par le tribunal de Vannes pour des viols et agressions sexuelles sur 299 personnes.
« Je ne veux pas de suivi psy, je ne veux pas être considéré comme une victime, avait lancé le jeune homme face aux magistrat·es. Je veux être fort, être fort, c’est tout. » Son unique thérapie, c’est « le sport ». Et Kevin est tout en muscles. Mais de retour parmi ses frères et sœurs d’infortune, le grand gaillard s’autorise à verser toutes ces larmes qu’il ravale depuis le petit matin. (...)
Les semaines d’audience ont passé et chacun, chacune s’est démené·e pour que personne ne se retrouve seul face à cet abîme. « C’est tellement rassurant, explique Camille. T’es à la barre, tu te retournes et, waouh, que des visages connus ! Que des gens qui te soutiennent, en qui t’as confiance, même si on se connaît depuis peu ! »
Toutes les victimes avec qui Mediapart s’est entretenu racontent cette étrange familiarité, ce fil d’Ariane qui a semblé les guider l’une vers l’autre. « La force de ce lien-là, c’est de savoir qu’on ne va pas remettre notre parole en doute, ni nous juger, à l’inverse de ce que beaucoup d’entre nous ont subi », analyse Gabriel.
Pour beaucoup, cette amitié est née entre client·es d’un·e même avocat·e lors des réunions préparatoires. Puis ces cercles se sont élargis au fil du procès. Pour nombre de victimes, tout est parti d’un regard échangé dans la deuxième salle de la cour criminelle, ouverte à quelques centaines de mètres du tribunal pour accueillir les plus de 200 parties civiles et leurs proches. (...)
C’est là que se sont rencontrées Manon et Pauline, la première semaine du procès. Les membres de la famille Le Scouarnec défilaient à la barre, l’inceste semait l’effroi dans les travées. Les deux jeunes femmes partageaient le même effarement et, un jour, Pauline a éclaté en sanglots. Une conversation s’est nouée. (...)
À la barre, Manon a choisi de lire un texte dont elle a ciselé chaque phrase. De son enfance troublée à ses jeunes années chaotiques, de l’annonce des gendarmes aux premiers jours du procès. « Nous sommes 299 dans ce dossier, dit-elle, tournée vers l’accusé. Vous nous avez possédés, vous avez tenté de nous réduire à des ombres, de nous effacer. Mais sachez-le : vous avez fait de nous une armée pour combattre des hommes comme vous. Nous sommes debout, non pas par la souffrance que vous avez imposée, mais par la force que nous avons bâtie. Cette marque qui nous distingue, nous l’assumons, notre puissance, c’est de la sublimer. »
Derrière elle, il ne reste pas une place sur les bancs des parties civiles. Tout le monde, ou presque, est venu. (...)
Semaine après semaine, ce front d’une vingtaine de personnes se reconstitue à chaque audience où un membre de la bande est convoqué. La petite troupe reprend place sur les premiers rangs en sachant ce qui l’attend. À chaque fois, il leur faut se confronter à l’horreur du « journal intime » de Joël Le Scouarnec : les mêmes mots résonnent à nouveau, ces sempiternelles obsessions que le prédateur régurgite dans tous ses écrits. « Mais peu importe les obstacles, il est hors de question de ne pas rendre ce qui nous a été donné », balaie Marion.
Résister à l’innommable (...)
À la barre, ni souffrance, ni incrédulité, ni honte, ni résilience. Restent seulement la procédure, l’insupportable litanie des viols et des agressions sexuelles, les interrogatoires souvent stériles de l’accusé et ses excuses, toujours les mêmes, que seul son avocat semble encore écouter. (...)
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Le verdict attendu le 28 mai
Durant ces deux mois, la personnalité au double visage de Joël Le Scouarnec, « le bon chirurgien » et « le pédophile », a aussi été disséquée. Tout comme les secrets de sa famille : l’accusé a avoué au début du procès, face à son fils venu témoigner et qui l’ignorait, avoir commis des abus sexuels sur sa petite-fille. Il a aussi été question des failles ayant permis à Joël Le Scouarnec d’agresser ses jeunes victimes en toute impunité pendant trente ans. Même après 2005, quand il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques. Avec son collègue urgentiste Jean-Marc Le Gac, le psychiatre Dominique Bonvalot, qui sera entendu le 13 mai par la cour, avaient pourtant donné l’alerte mais n’a pas été entendu.
Jusqu’à la mi-mai, de nouvelles victimes, violées ou agressées par l’ex-chirurgien lorsqu’il était en poste dans les hôpitaux de Quimperlé, Ancenis, Jonzac ou lors de remplacements, vont se succéder à la barre avant le dernier interrogatoire de l’accusé. Une trentaine d’avocats des parties civiles plaideront ensuite collectivement « pour parler d’une même voix face à Le Scouarnec », avant que le verdict ne soit rendu vers la fin mai. Il encourt vingt ans de réclusion criminelle.