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Blast a obtenu la preuve que des agents immobiliers israéliens proposent, en France, des biens construits dans les colonies israéliennes illégales, au cœur des territoires palestiniens. Une violation manifeste du droit international qui n’a pas fait ciller les autorités françaises.
« Un salon de vente dédié aux Juifs en France qui envisagent de venir vivre en Israël. » C’est par ces mots tout à fait neutres que l’agence de marketing Garkan présente sur son compte Instagram le salon Icube, dédié à l’immobilier israélien, qui s’est tenu à deux reprises à Paris au cours de l’année 2024. (...)
Les auteurs de ces lignes se font passer pour de potentiels acheteurs. L’un prétend être à la recherche d’une maison pour son père, tandis que l’autre affirme être là uniquement pour accompagner.
Alors que, dans un avis du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice, plus haute juridiction de l’ONU, a déclaré illégales l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens par Israël depuis 1967, nous faisons part à plusieurs agences de notre souhait d’acheter une maison en « Judée-Samarie », le nom utilisé par les colons israéliens pour désigner la Cisjordanie. Parmi les exposants approchés se trouve évidemment Garkan, l’agence de marketing immobilier. Prudent aucun exposant n’affirme ouvertement vendre des biens si sulfureux, cela n’empêche pas de demander les coordonnées des personnes intéressées… et de reprendre discrètement attache. (...)
il envoie la plaquette de présentation d’un projet, baptisé Kedem, et situé dans la colonie Avnei Hefetz, en plein cœur des territoires palestiniens. (...)
Le bien immobilier que propose Garkan est situé dans la colonie israélienne Avnei Hefetz, située en Cisjordanie, en violation du droit international (...)
Sur le document PDF trônent une dizaine de bâtiments alignés, présentés comme les futurs immeubles d’habitation qui doivent être finalisés dans les prochaines années, et dont les travaux sont bien avancés. (...)
En comparant ces images avec celles du même lieu en 2014, il apparaît que la colonie Avnei Hefetz s’agrandit d’année en année, et grignote par conséquent du territoire, menaçant plusieurs villages palestiniens situés alentour. (...)
Les poupées russes de la colonisation immobilière
En charge de vendre les biens à l’international, Garkan n’est pas à l’origine de ces constructions. Son client se révèle être le promoteur Harey Zahav, un rouage essentiel de l’entreprise coloniale d’Israël dans les territoires palestiniens. (...)
Harey Zahav n’est pas un simple promoteur immobilier : il est un condensé de la violence coloniale israélienne. Sur le compte Instagram de l’entreprise, on retrouve par exemple des vidéos de Shlomo Warmstein, un de ses dirigeants, se filmant fièrement en tenue militaire dans les ruines de Gaza. On y trouve également un photomontage montrant des croquis d’habitations alignées et superposées sur les ruines de Gaza. (...)
Sur son compte Instagram, Harey Zahav ne se cache pas de vouloir recoloniser la bande de Gaza. Malgré la violence des projets portés par ce promoteur immobilier, il était bel et bien représenté lors du salon Icube du 8 septembre 2024 à Paris, comme en témoigne le prospectus de l’entreprise Garkan que nous avons récupéré à cette occasion.
Compte Instagram Harey Zahav
À l’époque, la publication Instagram avait entraîné de nombreuses réactions indignées à travers le monde. (...)
Ce projet, qui constitue un nettoyage ethnique, est partagé jusqu’au sommet de l’État israélien par le ministre des finances Bezalel Smotrich, et par le désormais ex-ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, qui a démissionné de son poste le 19 janvier pour protester contre l’accord de cessez-le-feu à Gaza. L’idée d’expulser la population de Gaza afin de garantir la paix dans la région semble également partagée par Donald Trump, qui a évoqué cette envie de « faire le ménage » le 28 janvier dernier.
Bienveillance tricolore
Malgré les condamnations récurrentes par les autorités françaises des projets de colonisation des territoires palestiniens et des velléités d’expulsion de leur population, ni la Préfecture de police de Paris, ni le ministère des Affaires étrangères n’ont réagi à la vente de biens immobiliers situés dans les colonies israéliennes lors d’un salon se déroulant en plein cœur de Paris. La Préfecture s’est contentée de mettre en place un périmètre de sécurité pour assurer la bonne tenue de l’événement.
Une bienveillance étonnante et récurrente : d’après les informations publiées sur les réseaux sociaux par Icube, l’organisateur de l’événement, c’est la 87ème fois qu’un tel salon se tient dans l’Hexagone. Et plusieurs expositions du même type ont bénéficié du parrainage de l’Organisation sioniste mondiale ainsi que de l’Agence juive pour Israël, selon des informations également publiées sur les réseaux sociaux par les organisateurs eux-mêmes. (...)
Plusieurs salons de l’immobilier israélien organisés en France par Icube avant celui du 8 septembre 2024 mettaient en avant le parrainage de l’Agence juive pour Israël et du département de promotion de l’Alya de l’Organisation sioniste mondiale. (...)
l’Organisation sioniste mondiale et l’Agence juive pour Israël participent activement à la politique de colonisation israélienne dans les territoires palestiniens. (...)
Sur son site internet, l’Agence juive pour Israël, qui a parrainé plusieurs salons de l’immobilier israélien en France, ne se cache pas de vouloir aider les nouveaux arrivants à s’intégrer dans les colonies illégales situées dans les territoires palestiniens. (...)
Au-delà du projet politique de conquête des territoires palestiniens, les promoteurs de la colonisation vendent également aux colons un cadre de vie. C’est ce qui ressort du site internet dédié au projet Kedem, créé par Harey Zahav. On peut y lire que, en achetant un appartement à Avnei Hefetz, les colons pourront « prendre un café dans [leur] jardin », ou encore « envoyer les enfants dans des établissements d’enseignement de qualité ». Le tout « à seulement dix minutes de la route numéro 6 », qui traverse une bonne partie du territoire israélien de nord en sud.
Ils bénéficient d’infrastructures fournies par le gouvernement (...)
Et bien que toutes ces colonies soient considérées comme illégales par le droit international, plus de la moitié d’entre elles sont autorisées au regard du droit israélien. Les autres, également reconnues comme illégales par l’État hébreu, sont considérées comme des « avant-postes ». « La plupart des avant-postes sont liés à des colonies existantes. Et même s’ils sont officiellement illégaux au regard de la loi israélienne, en s’y rendant, on peut constater qu’ils bénéficient d’infrastructures fournies par le gouvernement israélien, comme l’eau ou l’électricité par exemple » (...)
Il faut dire que l’ensemble de ces colonies, légales ou non aux yeux des autorités israéliennes, permet à Israël de s’imposer petit à petit comme le seul État viable sur ces terres. Un projet politique clairement assumé par le gouvernement de Netanyahou. (...)
Israël n’a même pas besoin de déclarer l’annexion de la Cisjordanie, puisqu’il en contrôle déjà le territoire. (...)
L’effacement progressif de la Palestine
Ce blocage de toute création d’un État palestinien est tristement en passe de porter ses fruits. Avec des conséquences très concrètes sur la vie quotidienne des Palestiniens. « Les colons brûlent régulièrement les oliviers des agriculteurs palestiniens, les empêchent de nourrir leur bétail, prennent le contrôle de leurs terres, les empêchent de les cultiver, et par conséquent de se nourrir. Les agriculteurs perdent donc de l’argent et doivent parfois partir. C’est l’objectif recherché par les colons, qui récupèrent ensuite les terres pour les judaïser », analyse Shai Parnes. (...)
En brisant la continuité territoriale de la Cisjordanie, la colonie et ses checkpoints ont pour conséquence d’entraver les déplacements de la population palestinienne. C’est ce qui ressort des données collectées par B’Tselem. (...)
Selon l’ONU, cette politique de colonisation, qui s’intensifie et s’accompagne de violences, risque « d’éliminer toute possibilité pratique » de créer un État palestinien et compromet « les chances de parvenir à la solution des deux États ». Face à cette situation, B’Tselem en appelle à la communauté internationale : « Il faut maintenant faire respecter le droit international. Condamner ne suffit pas. Il est temps d’agir », souffle Shai Parnes.
Les autorités françaises acceptent-elles qu’un salon de l’immobilier israélien, se tenant en plein Paris, participe à un projet de colonisation et d’annexion des territoires palestiniens, en violation totale du droit international ?