
Le désert d’Arabie recèle du pétrole, mais aussi tout un patrimoine insoupçonné, que les missions archéologiques franco-saoudiennes mettent peu à peu au jour. Urbanisation, langues, techniques de chasse, agriculture, architecture… Tour d’horizon d’une moisson de découvertes.
Jusqu’au XXe siècle, l’Arabie était vue comme une terre aride au sous-sol richissime, parcourue de tout temps par des pasteurs nomades. Un paysage apparemment immuable, dont la monotonie, sous un soleil de plomb, était à peine rompue par des oasis verdoyantes (AlUla, Khaybar…), des alignements de pierres et de mystérieuses calligraphies. Des vestiges certes intrigants, mais pas de quoi déclencher des missions de fouilles. A priori…
Or, depuis 25 ans, cette région longtemps délaissée par les chercheurs est devenue un eldorado archéologique, et l’Arabie saoudite retrouve peu à peu une partie de sa mémoire préislamique.
L’impulsion, à la fin des années 1990, résulte d’un rapprochement entre universitaires français et saoudiens
(...) Défendre les intérêts de l’archéologie
Figure centrale de l’archéologie française en Arabie saoudite, Laïla Nehmé, archéologue au laboratoire Orient et Méditerranée1, mène des recherches dans la région d’AlUla depuis 2002, notamment avec la mission franco-saoudienne qu’elle dirige.
Comment s’imposer dans un pays où la femme est traditionnellement traitée comme une mineure ? L’archéologue explique qu’elle a su établir dès le départ des liens de confiance avec ses interlocuteurs en Arabie saoudite. Le fait qu’elle soit arabisante (son père est libanais) n’y est pas pour rien. Son caractère bien trempé a fait le reste. (...)
Elle souligne que son indépendance de chercheuse a toujours été respectée : « En plus de 20 ans de travail, je n’ai jamais été censurée. » Mais elle regrette la présence envahissante de certaines entreprises archéologiques privées. (...)
« Pour la raison bien simple que “data is money”, comme disent les Américains. Cela met en cause un principe essentiel de la recherche : travailler dans l’intérêt général et rendre rapidement publiques les données de la recherche » (...)
Les fouilles codirigées par Laïla Nehmé ont renouvelé la connaissance d’Hégra sur de nombreux points. On sait désormais comment et avec quels outils les Nabatéens taillaient – de haut en bas – leurs magnifiques tombeaux dans la roche et quels étaient leurs rites funéraires. On connaît mieux leur quotidien, le réseau hydrique extraordinairement élaboré qu’ils ont mis en place (avec ses 130 puits atteignant jusqu’à 7 mètres de diamètre), mais aussi la zone résidentielle d’une cinquantaine d’hectares, principalement construite en brique crue. La chercheuse précise : « L’organisation est très différente de celle qu’on trouve dans le monde grec ou romain, avec ses plans à angles droits. Ici, les ruelles sont courbes. C’est un urbanisme manifestement plus oriental. »
Aux origines de la langue arabe (...)
Après avoir relevé et analysé environ 250 inscriptions transitoires entre le nabatéen et l’arabe, Laïla Nehmé a pu retracer l’évolution d’une écriture vers l’autre entre le IIIe et le VIe siècle de notre ère. Restait à en expliquer le pourquoi. (...)
« Nous sommes en train de comprendre ce site sur près de 3500 ans d’histoire, de l’âge du bronze aux débuts de l’Islam ! » (...)
Prémices des villes et fin d’un mythe
En 2024, les fouilles dans l’oasis de Khaybar ont offert leur lot de surprises. Charloux et ses collègues ont mis en évidence un rempart long de 14,5 kilomètres enserrant une partie de l’oasis. À l’intérieur, un bourg fortifié de 1,5 hectare, daté de 2400 à 1500 avant notre ère, soit l’âge du bronze. Pas tout à fait une ville, mais pas loin.
« Il n’y a pas encore d’écriture, d’administration, note l’archéologue, mais on voit l’émergence d’une stratification sociale et de formes de complexité dans l’organisation de l’espace. C’est le début d’un processus qualifié en anglais de “low urbanisation”, c’est-à-dire une urbanisation lente, ou de faible intensité, qui se développe. » Or, dans une autre oasis, celle de Tayma, étudiée par une équipe allemande depuis 2004, un vaste rempart de l’âge du bronze avait déjà été identifié.
Guillaume Charloux est convaincu que Tayma et Khaybar ne constituent pas des cas isolés : « Je pense qu’il existait dès le troisième millénaire un phénomène général d’oasis fortifiées, interconnectées et évoluant vers l’urbanisation. » (...)
Un mythe historiographique ressort cabossé de toutes ces révélations, celui d’une route de l’encens fondatrice qui aurait vivifié une région longtemps enclavée. En réalité, tout a commencé bien avant : « Il existait des voies transarabiques très anciennes, bien antérieures à la route de l’encens, qui reliaient toute cette région. Le désert n’a jamais été cette barrière infranchissable que l’on décrit parfois. »
Chasse à la gazelle au Néolithique (...)
Partage sans restriction
Cette fructueuse collaboration entre les chercheurs du CNRS et leurs collègues saoudiens est appelée à se prolonger dans les années à venir. « Nous partageons nos méthodes, notre savoir, notre expérience avec nos collègues saoudiens, se félicite Guillaume Charloux. Nous les partageons sans restriction et, sur le terrain, une archéologie saoudienne au plus haut niveau est déjà à l’œuvre. »