Dans sa tribune publiée dans Le Monde le 18 décembre 2025, la sociologue prétend démontrer que l’antisionisme, présenté comme le visage de l’antisémitisme moderne, partagerait les deux fondements de la « culture de l’antisémitisme » : le « déni » et « l’inversion accusatoire ». Pourtant, comme le montre le chercheur et écrivain Gilbert Achcar, l’autrice reproduit elle-même ces mécanismes dans son argumentation.
La tribune d’Eva Illouz [1] commence par un commentaire sur la naissance de l’antisémitisme au cours du dernier quart du XIXe siècle, lorsque la judéophobie chrétienne traditionnelle se trouva transformée en « théorie quasi sociologique » de manière à l’adapter à l’esprit du temps. Ce préambule sert de prélude à l’argument central de l’article, selon lequel l’antisionisme n’est à son tour qu’un avatar de l’antisémitisme, plus conforme à l’esprit de notre époque.
Comme « exemple probant » du « déni » du crime commis contre un groupe et de « l’inversion accusatoire » qui transforme les victimes, membres du groupe, en coupables des crimes qu’elles subissent, Eva Illouz cite la déclaration rédigée sous l’impact du 7 octobre 2023 par le Comité de solidarité avec la Palestine des étudiants en licence [undergraduates] de Harvard et cosignée par (...)
(...) (...) (...) plusieurs organisations étudiantes [2]. Cette déclaration, affirme Eva Illouz, « tenait le régime israélien pour “entièrement responsable” de la violence perpétrée lors de l’attaque du Hamas, oblitérant totalement la responsabilité de l’organisation terroriste dans la situation d’impasse politique dans laquelle se trouvent les Palestiniens ».
L’autrice ne cite qu’un bout de phrase de la déclaration étudiante. Or celle-ci proclame : « Nous, les organisations étudiantes soussignées, tenons le régime israélien pour entièrement responsable de toute violence en cours [unfolding]. » Autrement dit, ce n’est pas « de la violence perpétrée lors de l’attaque du Hamas » que le pouvoir israélien est tenu « entièrement responsable » dans la phrase incriminée, mais de l’effroyable guerre génocidaire et dévastatrice que ce pouvoir a déclenchée contre Gaza dans la foulée immédiate de l’attaque meurtrière du 7 octobre. (...)
Eva Illouz fait mine d’ignorer que l’antisionisme ne consiste pas à contester au peuple judéo-israélien « le droit de continuer à vivre dans son État », mais bien son droit à vivre dans un État ethnocratique établi sur un territoire conquis en 1948 par des colons européens au détriment de la population indigène qui y vivait depuis des siècles. La très grande majorité de cette population fut alors victime d’une « épuration ethnique » ; une autre partie s’est trouvée réduite depuis 1967 au statut de population sous régime d’occupation, devant faire face à une colonisation graduelle et brutale de son territoire. Ce que récusent les antisionistes, c’est le droit des juifs israéliens à considérer la terre de Palestine comme leur « foyer national » exclusif, droit maintenant consacré par la « loi Israël, État-nation du peuple juif » adoptée en 2018 par le parlement israélien. Contre cet exclusivisme ethnonationaliste, c’est le principe d’une coexistence égalitaire des peuples israélien et palestinien dans une Palestine « libre du fleuve à la mer » que défendent les antisionistes, dont il est bien connu que beaucoup sont eux-mêmes d’ascendance juive.
Analogies grossières
La deuxième raison qui fait de l’antisionisme « une nouvelle forme d’antisémitisme », selon Eva Illouz, serait que l’antisionisme « reprend tous les préjugés, tropes et chimères de l’antisémitisme ». Ainsi, « au lieu de tuer des enfants pour utiliser leur sang pour faire du pain azyme, une autre rumeur lancinante voudrait qu’Israël prélèverait les organes de Palestiniens morts ». Avec des analogies aussi grossières, il suffirait de citer les nombreux propos sionistes antipalestiniens extrêmes, beaucoup moins marginaux, car proférés par des responsables haut placés dans l’État israélien, afin de soutenir que le sionisme, toutes tendances confondues, est égal au nazisme dans son intention génocidaire. Il y a des propos exagérés, et même outranciers, dans chaque champ politique : réduire l’ensemble du champ à de tels propos est un procédé polémique déplorable.
Quant à la troisième raison, elle serait que « l’antisionisme contient un programme de négation de l’antisémitisme, sa dénonciation étant suspecte d’instrumentalisation. Cela rend à son tour moins scandaleux et plus légitime de tuer les juifs. » (...)
Eva Illouz fait mine d’ignorer que l’antisionisme ne consiste pas à contester au peuple judéo-israélien « le droit de continuer à vivre dans son État », mais bien son droit à vivre dans un État ethnocratique établi sur un territoire conquis en 1948 par des colons européens au détriment de la population indigène qui y vivait depuis des siècles. La très grande majorité de cette population fut alors victime d’une « épuration ethnique » ; une autre partie s’est trouvée réduite depuis 1967 au statut de population sous régime d’occupation, devant faire face à une colonisation graduelle et brutale de son territoire. Ce que récusent les antisionistes, c’est le droit des juifs israéliens à considérer la terre de Palestine comme leur « foyer national » exclusif, droit maintenant consacré par la « loi Israël, État-nation du peuple juif » adoptée en 2018 par le parlement israélien. Contre cet exclusivisme ethnonationaliste, c’est le principe d’une coexistence égalitaire des peuples israélien et palestinien dans une Palestine « libre du fleuve à la mer » que défendent les antisionistes, dont il est bien connu que beaucoup sont eux-mêmes d’ascendance juive.
Analogies grossières
La deuxième raison qui fait de l’antisionisme « une nouvelle forme d’antisémitisme », selon Eva Illouz, serait que l’antisionisme « reprend tous les préjugés, tropes et chimères de l’antisémitisme ». Ainsi, « au lieu de tuer des enfants pour utiliser leur sang pour faire du pain azyme, une autre rumeur lancinante voudrait qu’Israël prélèverait les organes de Palestiniens morts ». Avec des analogies aussi grossières, il suffirait de citer les nombreux propos sionistes antipalestiniens extrêmes, beaucoup moins marginaux, car proférés par des responsables haut placés dans l’État israélien, afin de soutenir que le sionisme, toutes tendances confondues, est égal au nazisme dans son intention génocidaire. Il y a des propos exagérés, et même outranciers, dans chaque champ politique : réduire l’ensemble du champ à de tels propos est un procédé polémique déplorable.
Quant à la troisième raison, elle serait que « l’antisionisme contient un programme de négation de l’antisémitisme, sa dénonciation étant suspecte d’instrumentalisation. Cela rend à son tour moins scandaleux et plus légitime de tuer les juifs. » (...)
L’autrice décide ainsi, arbitrairement et péremptoirement, que le terme Intifada (« soulèvement », en arabe) renvoie à la « seconde Intifada » plutôt qu’à la première — le soulèvement de masse non violent qui atteignit son apogée en 1988 et fit rentrer le terme Intifada dans le vocabulaire international. Elle réduit en outre à « une série d’attentats terroristes » la « seconde Intifada », soulèvement résultant de l’exaspération de la population palestinienne des territoires occupés de 1967 face à l’accélération de la colonisation qui suivit les accords d’Oslo de 1993. Eva Illouz omet enfin de dire qu’il y eut trois à quatre fois plus de victimes palestiniennes que d’israéliennes durant la « seconde Intifada » et semble ignorer que près du tiers des « plus de 1 000 civils israéliens » qu’elle mentionne étaient des militaires. (...)