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Mediapart
Antilles françaises : l’archéologie trouble le récit colonial
#archeologie #AntillesFrançaises #colonialisme #vestigesAmerindiens
Article mis en ligne le 29 octobre 2025
dernière modification le 26 octobre 2025

L’extraordinaire découverte de nombreux vestiges amérindiens à Sainte-Anne, en Martinique, questionne l’approche de l’histoire des civilisations dans les Antilles françaises, façonnées par la colonisation.

(...) Lorsque le Club Med a déposé sa demande de permis de construire auprès de la mairie, des fouilles dites préventives ont eu lieu. Il s’agit, pour le dire un peu trivialement, d’échantillonner l’espace à construire afin de déterminer si des fouilles plus importantes doivent avoir lieu.

« La phase de diagnostic a montré l’intérêt de ces 7 000 mètres carrés de terrain », rappelle la DAC. L’opération a été organisée sur trois mois, d’avril à juin 2025, juste avant la saison des pluies. « Ce site, c’est le plus gros chantier qu’on ait vu dans les Petites Antilles », assure Guillaume Seguin, archéologue responsable de l’opération, mandaté pour mener les fouilles qui auront mobilisé une dizaine de personnes.

Des vases, des dessins, des sépultures

Et du début jusqu’à la fin, l’équipe est allée de découverte en découverte, parfois au prix de difficultés techniques liées à l’emplacement côtier du site. « On fouillait sous le niveau de la mer, et très proche de celle-ci : on a donc dû installer des pompes pour retirer l’eau et faciliter l’extraction de tout ce qu’on trouvait », se souvient Guillaume Seguin. Et la trouvaille, d’après l’ensemble du monde scientifique, est « extraordinaire ».

Près de 250 vases, 14 sépultures, des fragments de charbon, de ficelles, d’ossements, y compris d’animaux disparus depuis, mais aussi des pétroglyphes, ces dessins significatifs des peuples antiques amérindiens. « Ces vestiges datent de l’époque dite des Saladoïdes, une population présente entre le IVe et le VIIe siècle après Jésus-Christ », détaille l’archéologue. Il explique : « Les vases, dont le fond a été enlevé par les populations de l’époque, étaient empilés les uns sur les autres, de manière à former des puits pour capter l’eau douce du sous-sol. » (...)

Côté scientifique, on se réjouit de ce que l’étude de ces vestiges va apporter à la connaissance historique de cette période, dont la mise en chaire universitaire est, aux Antilles françaises, assez récente : c’est en 2005 que le premier poste d’enseignant en archéologie caribéenne a été créé à l’université des Antilles, bien après l’avènement des services d’archéologie en Martinique et en Guadeloupe, en 1986 et 1992.

« Longtemps, les seuls accès à cette histoire étaient les récits faits par les chroniqueurs des XVIIe et XVIIIe siècles, les pères Du Tertre, Labat ou encore le père Breton », rappelle Susana Guimaraes, conservatrice du musée archéologique Edgar-Clerc de Guadeloupe. Autrement dit, un récit construit par le regard de ces missionnaires venus évangéliser les Autochtones, et auteurs de nombreux écrits sur la vie dans les territoires caribéens. Un récit colonial, donc, porteur de mythes encore très répandus aujourd’hui.

« Non, archéologiquement, on ne peut pas dire que les Amérindiens exterminés par les Européens étaient issus d’une civilisation meurtrière et guerrière, elle-même responsable de la disparition d’une autre population plus pacifique », soupire Benoît Bérard, premier enseignant de l’université des Antilles, face au récit persistant.

« Trois vagues de populations ont rythmé la démographie des Antilles. Quelque 7 000 ans avant Jésus-Christ, une première vague est venue d’abord de la zone Amérique du Nord, puis une autre du Vénézuela, avec un patrimoine génétique commun d’après les données sur l’ADN ancien. Et enfin la vague européenne, à partir du XVIe siècle », reprend le chercheur. (...)

C’est cette vague de colons européens (Espagnols, Français, Anglais...) qui, après quelques années de cohabitation plus ou moins houleuse avec les occupant·es d’alors, ont entamé une campagne de lutte contre les Améridiens qui refusaient de céder leurs terres, campagne rapidement muée en épuration ethnique.

En 1660, le traité de Basse-Terre, signé entre une coalition d’Européens et quinze chefs de plusieurs îles caribéennes, acte l’expulsion des Autochtones à Saint-Vincent et à la Dominique, dans des réserves.

La Dominique, ancienne colonie britannique indépendante depuis 1978, abrite encore un territoire kalinago, titulaire d’une forme d’autonomie politique et culturelle qui crée, parfois, un militantisme identitaire et culturel chez certain·es, en Guadeloupe ou en Martinique. (...)

« La connaissance de l’histoire amérindienne permet de réancrer le passé de nos territoires français dans l’histoire américaine et non plus uniquement dans l’histoire française », soutient Susana Guimaraes, d’autant plus que le patrimoine génétique et démographique de la présence amérindienne, malgré quelques métissages, est relativement faible en Guadeloupe et en Martinique.

Quant à l’appropriation par le grand public d’une histoire et d’une culture, même faisant consensus en matière de fait historique, elle reste politique. (...)

Alors que les élu·es clament leurs ambitions d’émancipation de la tutelle française, l’histoire amérindienne a ceci de contemporain qu’elle appuie sur une dimension caribéenne perdue dans l’histoire : le caractère archipélagique de la région, réduit par la colonisation à un empilement d’îles isolées les unes des autres.