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Androcur : les tumeurs, le médicament et la lanceuse d’alerte
#androcur
Article mis en ligne le 4 avril 2024
dernière modification le 2 avril 2024

Des victimes de l’Androcur, médicament inhibiteur d’hormones ; poursuivent l’Etat en justice. Emmanuelle Mignaton, elle même sujette à des tumeurs à cause de cette substance, a été celle qui a lancé l’alerte. Un parcours de combattante.

Selon les informations du Monde, deux requêtes ont été déposées le 7 mars devant le tribunal administratif de Montreuil, par des victimes de l’Androcur, un médicament inhibiteur d’hormones. L’Agence du médicament est mise en cause pour avoir tardé à informer correctement les patientes du risque de tumeurs du cerveau. Une femme, Emmanuelle Mignaton, avait lancé l’alerte il y a des années, après des tumeurs détectées en 2011. Le magazine normand Grand Format raconte ici son combat.

Les symptômes (...)

L’examen détecte cinq tumeurs au cerveau, non cancéreuses. Ce qu’on appelle des méningiomes. Qui lui compressent le cerveau et provoquent ses troubles.

Le lien

D’où viennent ces tumeurs qui ont envahi son cerveau ? Le neurochirurgien Johan Pallud, qu’elle consulte à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, est formel : selon lui, ce sont les médicaments, notamment l’Androcur, qu’Emmanuelle prend depuis plusieurs années contre l’endométriose qui sont responsables. Emmanuelle a besoin de chiffres. Elle lui demande un pourcentage de probabilité. « 100% », lui répond Johan Pallud.

Depuis 2004, ces effets secondaires sont connus. Mais c’est notamment en 2007, grâce aux travaux du neurochirurgien Sébastien Froelich, de l’hôpital Lariboisière, à Paris, que le lien entre le médicament progestatif et le méningiome est établi. Dans son service arrivent de nombreuses femmes atteintes d’un méningiome. Certaines ont pris un progestatif pendant plusieurs années. Avant d’être opérées, quelques-unes arrêtent leur traitement. Une IRM est passée juste avant l’opération : les tumeurs ont régressé. Le médicament serait donc à l’origine du méningiome, ou il les ferait croître.

Ce risque est ajouté sur la notice du médicament en 2011 par le laboratoire Bayer qui le produit, tandis que 160 000 femmes en consomment alors. Quand elle découvre cette mention, Emmanuelle Mignaton est stupéfaite. Jamais un gynécologue ne lui a parlé de ces risques, ni n’a fait le lien entre les symptômes ressentis et le médicament, Androcur, qu’elle prenait.

Une étude démontre un risque multiplié par quatre de développer un méningiome chez celles qui ont consommé l’Androcur, prescrit contre l’endométriose, l’acné, pour la contraception ou chez des personnes en transition de genre, alors même que les indications initiales de prescription de ce médicament étaient l’hirsutisme sévère chez la femme et le cancer de la prostate.

Le risque de méningiome est multiplié par sept pour les femmes traitées par de fortes doses sur une longue période (plus de six mois) et par 20 après cinq années de traitement.

En 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) reconnaîtra que deux autres médicaments progestatifs ont potentiellement les mêmes effets secondaires : le Lutéran et le Lutényl. (...)

il y aurait au moins 200 personnes sous progestatif opérées chaque année pour des méningiomes, depuis 20 ans.

Le silence

Le risque provoqué par ces médicaments était connu de quelques neurochirurgiens, dont le professeur Froelich qui a lancé l’alerte. Pourtant, l’information n’a pas été diffusée massivement aux médecins et aux gynécologues qui ont prescrit ces progestatifs. (...)

Au fur et à mesure de son enquête, Emmanuelle comprend que les gynécologues sont embarrassés par l’information de ce risque potentiel. Ces macro-progestatifs réduisent considérablement les douleurs, et l’alternative médicamenteuse bouleverse tellement le corps des femmes qu’il ne peut être pris que 6 mois au cours d’une vie. Ces méningiomes apparaissent chez 3 ou 4 femmes sur 1000 qui prennent ces médicaments.

Doit-on les interdire alors que pour 997 femmes, tout se passera bien ? Informer les patientes d’un potentiel risque, c’est aussi provoquer de l’anxiété, peut-être inutilement. Et perdre du temps. (...)

Au départ, Emmanuelle Mignaton fait face au déni des gynécologues.

Puis elle obtient que toutes les patientes sous Androcur puis sous Lutéran et Lutényl soient informées par un courrier des risques encourus en prenant ce médicament. L’alerte est officiellement lancée par l’ANSM en juin 2018, soit 7 ans après que la notice du médicament ait été modifiée. Entre 2006 et 2015, au moins 500 femmes ont été victimes d’un méningiome dû à l’Androcur, d’après un rapport de l’assurance maladie publié à l’été 2018. (...)

Soutenir les autres femmes

En janvier 2019, Emmanuelle Mignaton crée l’association de victimes, l’Amavea, (Association Méningiomes dus à l’Acétate de cyprotérone, aide aux Victimes Et prise en compte des Autres molécules), avec d’autres femmes victimes de l’Androcur ou d’autres progestatifs. L’association reçoit de plus en plus de témoignages. Elle s’organise pour soutenir ces femmes, au téléphone, et pendant leur convalescence, après leur opération. (...)

Sur sa route de lanceuse d’alerte, Emmanuelle Mignaton a croisé d’autres femmes qui se battent pour faire reconnaître les conséquences néfastes d’un médicament : Marine Martin pour la Dépakine ; et surtout Irène Frachon pour le Médiator. La célèbre pneumologue de Brest échange régulièrement avec Emmanuelle (...)

Emmanuelle réclame aujourd’hui une étude pour savoir quels sont, en détail, les effets secondaires chez les femmes à qui ont été prescrits ces macro-progestatifs. Qui n’a plus le droit de conduire ? Qui est victime de crises d’épilepsie ? (...)

Comprendre

Dans son parcours, ce qui anime le plus Emmanuelle, c’est sa volonté de comprendre les logiques et les responsabilités de chacun. Comment un médicament prescrit depuis 40 ans, dont les risques de méningiome sont pointés dès 2004, n’a pas entraîné une alerte rapide chez les gynécologues qui le prescrivent ? Pourquoi si peu de neurochirurgiens ont signalé ces effets ? « Une femme adhérente de notre association a eu trois méningiomes en 10 ans. Son neurochirurgien ne lui a jamais dit d’arrêter le traitement », relate Emmanuelle.

La justice

Comprendre passe aussi par une procédure judiciaire. Pour l’instant, une procédure de référé expertise a été engagée par son avocat, Maitre Charles Joseph-Oudin, le même avocat qu’Irène Frachon et que de nombreuses autres personnes qui se disent victime d’un médicament. (...)

Début mars, l’ANSM a émis de nouvelles recommandations sur d’autres progestatifs comme le Colprone, le Duphaston, l’Utrogestan ou le Dienogest, ne pouvant exclure un risque de méningiome provoqué par ces médicaments. « Arrêtons d’inquiéter les femmes sur des suggestions de risque non évalué », ont répondu plusieurs organisations médicales dont le Collège national des gynécologues et obstétriciens français. (...)