
Attaques contre des centres LGBTQI+, contre des lectures faites par des drags, insultes transphobes, obsession « antiwoke » : l’extrême droite et ses relais mènent en France et dans le monde une guerre culturelle de plus en plus visible. Entretien avec Alex Mahoudeau.
Cette thématique est au cœur du livre #MeToo, le combat continue, l’ouvrage collectif de Mediapart, publié récemment aux Éditions du Seuil et consacré à la révolution féministe qui agite le monde depuis l’automne 2017 et le lancement du fameux mot-dièse sur les réseaux sociaux.
Entretien avec la docteure en science politique, Alex Mahoudeau, autrice de La Panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire (Textuel, 2022). (...)
Alex Mahoudeau : Les mouvements anti-LGBTQI+, antiféministes et masculinistes sont souvent perçus comme autonomes. Ils partagent pourtant une même vision des relations sociales : une défense de la masculinité et de la féminité « traditionnelles », une vision hiérarchique des rapports de sexe − les hommes en haut, les femmes en bas, et l’homosexualité, la transitude et la non-binarité définies comme des perversités. Selon cette conception fantasmatique et réactionnaire, un déclin serait à l’œuvre parce que « les hommes ne sont plus des hommes » et « les femmes ne sont plus des femmes ». Ces groupes pensent que le féminisme et le mouvement LGBTQI+ ont contribué à remettre en cause les structures « saines » de la civilisation.
Les offensives antigenres se déploient en France, en Europe, dans le monde…
En réalité, en France, elles n’ont jamais disparu. (...)
En Europe, l’organisation CitizenGo, historiquement rattachée à la droite catholique espagnole et engagée contre les droits des personnes homosexuelles, fait de la lutte contre les personnes trans une priorité. Aux États-Unis, l’attaque massive contre les droits des personnes trans dans les États républicains, qui cible en particulier les adolescents, est organisée de façon stratégique. (...)
Les slogans antigenres et antitrans peuvent aussi venir de personnes s’affirmant féministes, lesbiennes ou gays.
Parler d’« antigenres » est peut-être un contresens, car celles et ceux qu’on désigne ainsi sont en réalité obsédés par le genre, au sens où ils défendent une conception des rapports de genre figée et patriarcale.
Mais oui, les pistes sont parfois brouillées : un certain nombre de personnalités mises en avant par ces mouvements sont issues du féminisme ou des droits LGBTQI+, ou en tout cas ont appris leur langage. Il est important de rappeler que cela n’est pas nouveau (...)
Pour autant, ne nous laissons pas intoxiquer par les discours de quelques personnes qui, si elles disposent d’un puissant mégaphone et de relais médiatiques, ne représentent qu’elles-mêmes : l’écrasante majorité des organisations féministes considèrent que la transidentité n’est pas un sujet ! (...)
Les paniques morales changent vite d’objet, et on les oublie rapidement. Le prétendu « wokisme » est un fourre-tout. Ce qui est certain, c’est que les groupes visés sont toujours les mêmes : les femmes, les personnes divergentes sur le plan du genre − y compris d’ailleurs les gays qui pensent que se comporter « normalement » leur permettra de ne pas être ciblés −, les personnes racisées, les travailleuses et travailleurs, etc. (...)
Pour autant, je ne suis pas persuadée que l’extrême droite parvienne à construire un grand mouvement populaire de lutte contre le « wokisme ». Cela ne fonctionnera pas, me semble-t-il. Hors de l’électorat conservateur convaincu, malgré la persistance et parfois le développement des agressions et des discriminations, l’acceptation sociale des personnes trans et de l’homosexualité progresse. (...)
Actuellement, la cible, les boucs émissaires des réactionnaires, ce sont les personnes trans. Dans un an, ce seront peut-être d’autres personnes. L’antidote à ces attaques, c’est de ne pas avoir honte. C’est aux transphobes et aux homophobes d’avoir honte.