
Après la mort en direct du streamer Raphaël Graven, le parquet de Paris a ouvert lundi 25 août une enquête préliminaire concernant, cette fois, le service de streaming australien. C’est la troisième procédure lancée depuis les premières révélations de Mediapart en décembre 2024.
Les regards se tournent maintenant vers la plateforme Kick. Le parquet de Paris, en concertation avec le parquet de Nice, a annoncé avoir ouvert, lundi 25 août 2025, une enquête préliminaire au chef de fourniture en bande organisée de plateforme en ligne illicite, à la suite de la mort du streamer Raphaël Graven, surnommé « Jean Pormanove ».
« Cette nouvelle enquête cherchera à déterminer si la plateforme Kick fournissait, en connaissance de cause, des services illicites, notamment par la diffusion de vidéos d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne », décrit la procureure de Paris, et à savoir « si la plateforme Kick satisfaisait aux obligations issues du règlement européen sur les services numériques (DSA), notamment l’obligation de signaler aux autorités les risques d’atteintes à la vie ou à la sécurité des personnes ».
Parallèlement, Clara Chappaz, ministre du numérique, a déclaré mardi 26 août qu’elle allait attaquer la plateforme Kick en justice. « Aujourd’hui, je saisis le tribunal judiciaire pour manquement face à la loi sur la confiance numérique », a-t-elle précisé au cours d’une conférence de presse à laquelle Mediapart a assisté. (...)
Clara Chappaz a également annoncé qu’elle avait demandé à François Bayrou, le premier ministre, « de lancer une mission d’inspection transverse » sur le sujet, pour examiner l’existence de potentielles défaillances dans les responsabilités de chacun·e et les moyens à disposition pour agir.
Ces deux nouvelles actions vis-à-vis de la plateforme australienne Kick arrivent huit mois après la publication d’un article de Mediapart intitulé « Kick, “far-west” de la vidéo où règne le laisser-faire », qui révélait déjà le laxisme de la plateforme qui héberge la chaîne « Jeanpormanove ». Dans la nuit du 17 au 18 août, le streamer Raphaël Graven, alias « JP », y est décédé après douze jours de livestream où il subissait sévices et humiliations.
Le 16 décembre 2024, après nos premières révélations, une enquête préliminaire avait été rapidement ouverte par le procureur de la République de Nice concernant de potentiels actes de violence contre des personnes vulnérables et handicapées et la « diffusion d’enregistrements d’images relatives à la commission d’infractions d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne ». À la suite du décès de Raphaël Graven, le parquet de Nice a ouvert une deuxième enquête distincte, pour recherche des causes de la mort.
En revanche, aucune enquête ne concernait directement Kick, jusqu’ici.
Une plateforme volontairement laxiste
Kick s’est lancée mondialement en 2022 avec pour objectif de croître le plus vite possible en attirant un maximum de streamers et de streameuses. Avec deux arguments : une meilleure rémunération (95 % des bénéfices pour les créateurs et créatrices de contenus, contre seulement 50 % chez la concurrence) et une modération extrêmement légère, par rapport à d’autres sites comme Twitch.
« On sait très bien qu’on ne ferait pas long feu [sic] sur Twitch, assumait même Owen C., un des gérants de la chaîne, au cours d’un entretien téléphonique avec Mediapart en décembre 2024. Aujourd’hui, on ne peut plus faire grand-chose, c’est censuré de tous les côtés, comme à la télé. » (...)
Sur le plateau de France Info, le 22 août, la ministre ne cachait pas son agacement. « On a eu un échange extrêmement tendu avec Kick, a-t-elle décrit. On est face à des gens à l’autre bout du monde, en visio, avachis, qui ne prennent absolument pas la mesure de ce qui est en train de se passer et qui n’ont aucune réponse. »
Les deux cofondateurs de Kick, Bijan Tehrani et Ed Craven, sont deux trentenaires qui ont fait fortune dans les casinos en ligne grâce à leur plateforme appelée Stake, qui est interdite en France comme dans de nombreux pays. Ils auraient dit à la ministre disposer de « 75 personnes en charge de la modération [sur Kick] », mais en ajoutant qu’« aucune ne parle français ».
Ce que Kick savait
Kick travaillait pourtant bien avec des Français pour communiquer sur son compte X en France. Comme Mediapart l’a montré, Kick France y encourageait publiquement les streamers de la chaîne « Jeanpormanove », s’amusait des jets de peinture que recevait Raphaël Graven, et se moquait même de Coudoux, l’homme handicapé sous curatelle. Le 16 décembre 2024, Mediapart a interrogé par mail l’entreprise australienne sur le comportement de Kick France sur X, sans réponse.
Mais Kick a aussi été interrogée à d’autres reprises par nos soins, notamment les 2 et 9 décembre 2024, concernant des faits précis se déroulant sur la chaîne, des violences physiques et verbales, ainsi que des humiliations validistes. La plateforme a systématiquement répondu par des communiqués laconiques et vagues. (...)