Alors qu’une audience capitale se tient le 11 décembre pour sceller le sort de l’A69, Reporterre a voulu vérifier l’un des arguments du concessionnaire : le chantier serait trop avancé pour l’annuler. Sur place, les retards et nombreuses irrégularités démontrent le contraire.
Nous sommes en plein sur l’emprise du tracé de l’A69. Les sols sont chaulés, presque imperméables à la pluie qui ne cesse de tomber. Un imposant pont, pas encore totalement terminé, trône devant nous.
Des terres utilisées illégalement, selon les opposants, sans fouilles archéologiques préalables avant de creuser le bassin et sans état des lieux environnemental. Ce n’est pas la seule ombre au tableau. Le chantier est particulièrement en retard, alors que le concessionnaire assure le contraire : « D’ici la fin de l’année, l’ensemble des ouvrages comme l’essentiel des terrassements seront terminés », a affirmé le directeur d’Atosca, Martial Gerlinger, le 10 novembre dans le média spécialisé Le Moniteur. Pourquoi un tel contraste entre la communication d’Atosca et la réalité du terrain ? L’avancée des travaux est un élément particulièrement sensible, alors que la cour administrative d’appel se penche jeudi 11 décembre sur la légalité ou non de cette autoroute. (...)
Le concessionnaire a en effet pris l’habitude, lors de chaque audience dans les tribunaux administratifs, de plaider l’avancement des travaux et les investissements effectués dans ce projet pour justifier, selon lui, l’impossibilité de faire machine arrière.
Un argument qui n’est pas recevable en droit et qui avait été balayé le 27 février par le tribunal administratif de Toulouse, qui avait annulé l’autorisation environnementale de l’autoroute. (...)
Sur le terrain, cet argument ne tient pas non plus, puisque les travaux sont loin d’être aussi avancés que ne le prétend le concessionnaire. (...)
Plus de 40 hectares illégalement utilisés
Le chantier est également pavé d’illégalités manifestes, comme c’est le cas sur la base de loisirs du Dicosa, sur la commune de Saïx. Sur la gauche du pont qui n’est pas totalement terminé, des parcelles sont aménagées. Deux énormes tas de terre gisent sur un sol terrassé et, en contrebas, un immense bassin d’une centaine de mètres est rempli d’eau. Ces deux zones, d’environ 2 hectares, ne sont pourtant pas censées être utilisées par le concessionnaire pour les travaux de l’A69, selon les plans qu’il a lui-même fournis dans son dossier de demande d’autorisation environnementale.
« Ici, il y a normalement des espèces de flores menacées, comme la Moenchie et des habitats d’hérissons et d’écureuils roux. Il n’y a eu aucun inventaire environnemental, aucune demande d’autorisation pour utiliser ces terres. Ils ont massacré illégalement de la faune et de la flore protégées », dénonce Blandine [*], de La Voie est libre. À quelques mètres, la réserve naturelle ornithologique de Cambounet-sur-le-Sor accueille également de nombreuses colonies de hérons.
Ce n’est pas un cas isolé, a révélé fin novembre le collectif et la cellule de vérification de Radio France. Entre 40 et 45 hectares de terres, qui ne figurent pas dans le dossier d’autorisation environnementale, seraient ainsi utilisés par le concessionnaire hors de tout cadre légal pour construire son autoroute. (...)
Alertées après cette révélation, les préfectures du Tarn et de Haute-Garonne ont sommé le concessionnaire de s’expliquer, sous peine de compensations environnementales supplémentaires, voire de sanctions pénales.
« La réaction des préfectures montre que ce chantier “exemplaire” n’est en rien surveillé », selon La Voie est libre. (...)
150 signalements
Atosca est également à la traîne concernant les normes environnementales sur lesquelles il s’est lui-même engagé. Épinglé à plus de 60 reprises par la préfecture du Tarn pour des irrégularités sur le chantier, le concessionnaire poursuit les travaux coûte que coûte.
Fin septembre, Atosca a été une nouvelle fois mis en demeure par la préfecture après la visite d’agents publics qui ont constaté la pollution du petit cours d’eau de l’Algans, sur la commune de Cuq-Toulza, et l’absence de bassins de traitement des eaux pluviales dans la zone du chantier. (...)
« C’est nous, les riverains le long du chantier, qui faisons la plupart des signalements à l’Office français de la biodiversité et à la direction départementale des territoires du Tarn. On est à plus de 150 signalements. Parfois, des agents sont envoyés sur place pour constater ces irrégularités, ce qui pousse la préfecture à adresser des mises en demeure au concessionnaire », avance Blandine, du collectif La Voie est libre, qui a fait ses premiers signalements en juillet 2023.
Et d’ajouter : « On se rend compte que depuis le début, cela n’inquiète pas Atosca. Le concessionnaire prend de petites mesures pour faire semblant de faire quelque chose. Heureusement qu’il y a de la vigilance citoyenne pour dénoncer cette catastrophe écologique. » (...)
De quoi mettre à mal ses arguments devant les juges, le 11 décembre ? Le délibéré devrait être connu sous une quinzaine de jours et pourrait sceller définitivement le sort de ce projet autoroutier.