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Mediapart
À Téhéran, les habitants sont saisis de peur et de panique
#israel #iran
Article mis en ligne le 17 juin 2025

Dans la capitale iranienne, comme ailleurs dans le pays, la population cherche de l’essence pour fuir vers plus de sécurité. Mais celle-ci est rationnée. Dans certains quartiers, l’eau elle-même vient à manquer. Et la répression du régime, malgré les bombes israéliennes, reste féroce. Témoignages.

(...) « Nous vivons un cauchemar auquel personne ne s’était préparé. Mon père a 90 ans. Il a connu la Seconde Guerre mondiale, la guerre Iran-Irak et désormais celle que nous impose Nétanyahou [le premier ministre israélien – ndlr] », raconte auprès de Mediapart le jeune homme, qui vit entre Téhéran et Paris. Il témoigne sous un nom d’emprunt car « le régime iranien mène la chasse aux espions ». Quiconque porte une voix critique peut être accusé d’agir à la solde d’Israël et finir dans les geôles de la dictature islamique.

« À défaut de réussir à attraper les agents du Mossad [le service de renseignement israélien – ndlr] qui ont infiltré le régime jusqu’à son sommet, nous risquons à tout moment de servir de boucs émissaires, alerte Ali, qui essaie de ne pas paniquer lorsqu’il ne parvient plus à joindre ses proches. Les autorités iraniennes sont aux abois. Elles ont ralenti le débit internet pour qu’on ne témoigne pas. » (...)

Les bassidjis, ces miliciens qui sèment la terreur au nom des mollahs, et qui sont chargés de contrôler violemment la population, redoublent de répression, comme le documente le site d’information indépendant Iran Wire, qui évoque « des dizaines de personnes arrêtées et accusées de lien avec Israël » depuis les premiers bombardements le 13 juin. Une pratique courante, qui fut légion pendant le soulèvement Femme, vie, liberté à l’automne 2022, lors duquel de nombreux manifestants et manifestantes furent arrêté·es et accusé·es d’espionnage pour Israël, sans qu’aucune preuve ne soit jamais apportée.
Routes prises d’assaut

Ali se sent « impuissant et coincé entre deux régimes malades, l’Iran et Israël ». Il est « apeuré » aussi. Quelques amis lui envoient des blagues ou des photos de fêtes alcoolisées en disant : « Ne nous laissons pas abattre, on est habitués », mais « la majorité de la population est tétanisée, plus personne ne se sent en sécurité dans sa maison ».

Sa cousine refuse de quitter Téhéran : sa mère est malade. Ce serait prendre le risque d’être loin des hôpitaux, alors même que ceux-ci peuvent être ciblés par l’armée israélienne. L’Iran a accusé lundi 16 juin Israël d’avoir pris pour cible un hôpital dans l’ouest du pays, dans la ville de Kermanshah, et dénoncé « un crime de guerre ». (...)

Dans les rues de Téhéran qu’Israël menace de « brûler », c’est la panique. La capitale est prise dans des embouteillages monstres et fait face à des pénuries de carburant. Parmi les routes prises d’assaut, celles qui mènent au nord de Téhéran vers la mer Caspienne. (...)

En quatre jours, l’essence s’est faite rare, mais aussi l’eau dans certains quartiers où les infrastructures ont été pulvérisées par les missiles israéliens. (...)

« Contrairement à Israël, nous n’avons pas d’abri où nous réfugier dans nos maisons, nous n’avons pas de système d’alarme pour nous prévenir de l’imminence d’un bombardement » (...)

Lundi 16 juin, la radio-télévision d’État iranienne dans le nord-est de Téhéran a été visée, en plein direct. Dans le courant de l’après-midi, le ministre de la défense israélien, Israël Katz, avait affirmé que ce « porte-voix de la propagande et de l’incitation iranienne » était « sur le point de disparaître ».

Aïda Tavakoli est « sous le choc ». Elle ne comprend pas que certains puissent se réjouir des bombes qui pleuvent sur le pays tout en craignant pour leur propre vie et fustige « le storytelling obscène de Nétanyahou sous mandat d’arrêt international et sa bande fanatisée » qui veulent faire croire au peuple iranien qu’ils vont le libérer de la dictature des mollahs. « Cela me désespère, soupire l’étudiante. Comment a-t-on pu en arriver à faire croire qu’on libère un peuple en le bombardant ? »

« Ce n’est pas Nétanyahou qui a affaibli le régime, mais les sanctions, le mouvement Femme, vie, liberté et le courage inouï de la société civile, poursuit-elle. On a choisi des armes pacifiques, on a manifesté au péril de nos vies. Et on ne construira pas une démocratie sur les ruines avec la loi du plus fort. » (...)

« Nétanyahou n’a rien à voir avec le combat du peuple iranien pour la liberté, fulmine-t-il. Il tente de manipuler les opinions pour servir ses intérêts mais ce qu’il vise, c’est la destruction de notre pays. Comme il l’a fait à Gaza, au prétexte d’éradiquer le Hamas toujours bien vivant. Les Iraniens ne sont pas dupes. »

Jafar accuse le coup de « cette guerre qui n’est pas la [leur] sous un régime dictatorial ». Le 13 juin, son frère devait s’envoler au Canada pour y subir une opération chirurgicale en urgence après un parcours du combattant, mais trois heures avant, son vol a été annulé à cause des attaques israéliennes. Il faut désormais se démener dans la ville sous les bombes pour trouver des médicaments et ne pas interrompre son parcours de soins, alors que les hôpitaux débordent de blessé·es. Il a une question : « Qui va arrêter Nétanyahou ? Combien de temps le monde va-t-il encore le laisser nous conduire dans l’abîme ? »