
Dès 2021, la halte soins addictions, ou « salle de shoot », strasbourgeoise a signalé une poussée inédite de la consommation de fentanyl, puissant opioïde, notamment via des patchs contre la douleur. Les acteurs de la santé locaux ont alors pu s’organiser
(...) C’est l’un des rôles méconnus des salles de consommation à moindre risque. À Strasbourg, la halte soins addictions (HSA) a permis de sonner l’alerte sur un phénomène inédit en France : l’apparition d’un usage détourné du fentanyl, un antalgique parmi les plus puissants existants, par le biais de patchs Durogesic. Cet opioïde, classé stupéfiant, est notamment utilisé pour traiter des douleurs d’origine cancéreuse.
Dans une évaluation de la HSA, dispositif qui n’existe qu’à Paris et dans la capitale alsacienne, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) souligne ainsi le rôle crucial de ce dispositif expérimental en tant que vigie des nouvelles habitudes de consommation (...)
« Les usagers ont appris à extraire le fentanyl du patch en le faisant chauffer au bain-marie, explique Nicolas Bergmann. La chaleur provoque une évaporation de la colle du patch et permet aux usagers de récupérer le fentanyl. La consommation se fait ensuite par injection. » (...)
La montée en puissance du fentanyl a créé une problématique importante pour Nicolas Bergmann et ses collègues. Car la substance est cent fois plus puissante que la morphine et quarante fois plus forte que l’héroïne. L’apparition et la disparition de ses effets sont très rapides. Cela crée ainsi une dépendance forte suite à une multiplication des injections à court terme. D’autant que les usagers finissent par développer une accoutumance à des doses de plus en plus fortes.
L’équipe d’Ithaque a donc été confrontée aux limites de ses solutions face aux overdoses (...)
« Le principal public concerné est constitué d’hommes, migrants, injecteurs, en provenance de Géorgie. Cette progression [de la consommation de fentanyl – ndlr] pourrait n’être que conjoncturelle car liée à des prescriptions locales incontrôlées de Durogesic sur lesquelles des investigations sont en cours, médicales aussi bien que judiciaires. »
Comme Rue89 Strasbourg l’a déjà raconté, des ressortissants géorgiens migrent à Strasbourg pour y être traités pour des cancers. Ils sont parfois admis à l’Institut de cancérologie de Strasbourg. Le phénomène a poussé l’agence régionale de santé à convoquer une « réunion d’urgence » en 2023 pour mener à « l’extinction » de cette « filière » de migration. Certaines prescriptions de Durogesic ont pu être faites pour ces patients géorgiens. (...)
Mais cette consommation observée à la HSA de Strasbourg pourrait avoir une autre origine. En juin 2024, un trafic de fentanyl a été démantelé en Bretagne. Trois personnes de nationalité géorgienne ont été mises en examen pour avoir mis en place un réseau d’obtention illicite de l’antalgique sous forme de patchs. L’affaire, révélée par Le Parisien, avait commencé par l’interpellation en flagrant délit d’un Géorgien qui présentait dans plusieurs pharmacies des ordonnances falsifiées ou volées contenant du fentanyl transdermique dans sa posologie maximale.
Au total, ce trafic a permis la délivrance de 2 300 boîtes de fentanyl dans dix-sept départements de l’ouest de la France. Selon le parquet de Rennes, une partie de ces antalgiques a été revendue au sein de la communauté géorgienne en France.
« Plusieurs affaires » en cours à Strasbourg
Selon nos informations, des procédures lancées par les autorités sanitaires ainsi que des poursuites judiciaires à l’égard de médecins prescrivant une quantité anormale de fentanyl ont contribué à enrayer le phénomène du Durogesic détourné à Strasbourg. La caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) du Bas-Rhin a simplement évoqué « plusieurs affaires » en cours tant au niveau sanitaire que judiciaire.
La communication de la CPAM est donc restée générale sur sa méthode de lutte face aux détournements de Durogesi (...)
Dès le second semestre 2023, la HSA de Strasbourg a constaté une baisse de la consommation de fentanyl. D’après l’évaluation du dispositif expérimental à Strasbourg, cette inflexion serait liée à « une moindre disponibilité de la molécule consécutive aux modalités de prescription et de délivrance ». L’alerte émanant de la salle de consommation gérée par Ithaque a bien fait effet. (...) (...)