
Malgré de forts taux de cancers à Saint-Nazaire, les pouvoirs publics restent conciliants avec les pollueurs. Selon Splann !, TotalEnergies a enterré une étude sur l’exposition importante à des substances cancérogènes. Sans réaction de la préfecture.
(...) depuis plus de vingt-cinq ans, le bassin nazairien affiche un bilan de santé peu reluisant comparé au reste de la Loire-Atlantique. Le risque d’avoir un cancer du poumon y est plus élevé (+19 %) que dans le reste du département. Pour le cancer du nez, de la bouche, du pharynx, du larynx, de la trachée ou de l’œsophage, la différence est encore plus nette : +28 %. Au total, selon l’ORS, les hommes habitant à Saint-Nazaire et dans les communes alentour meurent beaucoup plus souvent avant 65 ans (+42 %) que la moyenne des Français.
Pour Michel Bergue, l’ancien sous-préfet de Saint-Nazaire, l’explication est simple : « Ce n’est pas la pollution industrielle qui cause le cancer. C’est le tabac et l’alcool. » Une affirmation sans base scientifique, émise en 2019, et qui continue de faire scandale dans le milieu ouvrier nazairien, comme nous l’avons constaté au cours de notre enquête.
« L’alcool n’explique pas tous les cancers » (...)
Didier Ott, lui, suspecte l’existence d’un lien entre pollution industrielle et cancers. L’ancien Francilien est devenu en quelques années un véritable spécialiste de la qualité de l’air. Son obsession : démasquer les pollueurs et réduire l’exposition des riverains aux particules nocives. Membre de la Ligue des droits de l’homme, il a rejoint dans leur combat des habitants installés de longue date dans l’agglomération, comme Philippe Dubac et Christian Quélard. Ces derniers ont créé en 2015 l’association Vivre à Méan-Penhoët (Vamp), du nom d’un vieux quartier ouvrier nazairien, pour empêcher l’extension de Rabas Protec, un sous-traitant d’Airbus spécialisé dans le traitement de surface de pièces d’avion. (...)
Une étude lacunaire
Depuis plus de dix ans, des associations de riverains bataillent à coup de pétitions, de manifestations, de réunions publiques et d’interventions dans la presse, pour tenter de faire la lumière sur les pollutions industrielles et leur impact sanitaire. Dès 2013, l’AEDZRP, association de riverains basée à Donges (où se trouve la raffinerie TotalEnergies), rejointe ensuite par Vamp, demande à la Préfecture la mise en place d’une étude épidémiologique. En vain. Alarmés par les chiffres de mortalité par cancers des habitants de l’agglomération, le sénateur Yannick Vaugrenard (PS) et la députée Audrey Dufeu (LREM) portent la parole des associations jusqu’à l’Assemblée nationale et au ministère de la Santé.
« Il n’est pas acceptable, après la publication des chiffres de l’an passé, de devoir attendre aussi longtemps pour la mise en place de cette étude », écrit Audrey Dufeu en octobre 2020 dans un communiqué de presse. Cinq mois plus tard, la préfecture lâche enfin du lest. Mais au lieu de s’engager dans une étude épidémiologique, elle opte pour une simple étude de zone. (...)
Des données officielles peu fiables
Autre carence : les particules ultrafines, notamment celles contenues dans les fumées de soudage, véritable serpent de mer aux Chantiers de l’Atlantique, sont exclues de l’étude en dépit de leur caractère cancérogène avéré (lisez la précédente enquête « À Saint-Nazaire, le coût humain des bateaux de croisière »).
Quant aux polluants présents dans le sol, ils ont dans un premier temps été tout simplement évacués de l’étude. Sous l’insistance des associations, la préfecture a finalement accepté de réaliser des prélèvements dans des jardins potagers. Mais la méthodologie utilisée rend très sceptique Thierry Lebeau, professeur à l’Université de Nantes, spécialiste depuis vingt ans de la pollution des sols et membre du comité d’orientation stratégique de l’étude de zone (...)
L’état des eaux souterraines ne semble pas préoccuper davantage la préfecture (...)
Agir face au silence des autorités
Quel crédit accorder à l’étude de zone si elle est réalisée à partir de données parcellaires et d’échantillons non représentatifs ? La question hante de plus en plus les associations de riverains. Pour Didier Ott, il faut continuer à montrer du doigt les pollueurs et faire pression sur les pouvoirs publics. L’ancien ingénieur informatique a répertorié toutes les sources de pollutions industrielles connues dans l’estuaire. (...)
TotalEnergies enterre une étude cruciale (...)
l’étude d’impact confiée par TotalEnergies à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) est restée bloquée dans les placards du groupe pétrolier. Remise le 20 janvier 2023, elle démontrait que dans certains quartiers de Donges, la concentration moyenne journalière de l’air en benzène, substance classée cancérogène certaine, a dépassé le seuil d’exposition aigu acceptable pendant les quatre jours qui ont suivi la fuite d’essence. Contacté à ce sujet, TotalEnergies n’a pas souhaité répondre. (...)
Ce rapport, pourtant réalisé par un institut spécialisé réputé pour son indépendance, n’a visiblement pas plu à TotalEnergies. L’entreprise a donc refait elle-même les calculs en utilisant une autre méthodologie pour parvenir, au bout de quatorze mois, à un contre-rapport truffé de formules mathématiques et de graphiques… que l’Ineris n’a pas tardé à tailler en pièces dans un « avis critique » que Splann ! s’est procuré. L’institut national de l’environnement et des risques y pointe des « méthodes de calcul inadaptées », « de nombreuses imprécisions », ainsi que des données essentielles invérifiables (...)
« L’État essaye de mettre les problèmes sous le tapis » (...)
L’alliance des riverains, chercheurs et syndicats (...)
Malgré des relations tendues avec les pouvoirs publics, les associations de riverains marquent des points et créent des ponts avec des chercheurs et des organisations syndicales. Ils sont devenus une source d’information indispensable aux yeux des journalistes de la presse quotidienne régionale. Leur combat fait écho à celui qui mobilise depuis quatorze ans, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) des habitants, des salariés, des représentants syndicaux et des chercheurs au sein d’un institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions (IECP). (...) (...)