
La rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, estime que la situation à Gaza « se dégrade d’heure en heure ». Elle revient sur les termes de « génocide » et de « nettoyage ethnique » pour qualifier les actions menées par Israël.
Le bilan, dramatique, ne cesse de s’alourdir. Selon le ministère de la santé palestinien, 21 110 personnes, dont 6 300 femmes et 8 800 enfants, sont mortes dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre et les attaques meurtrières lancées par le Hamas. Chaque jour, les bombardements israéliens font des centaines de mort·es. Après l’annonce le 25 décembre d’une « intensification des combats » par Benyamin Nétanyahou, le premier ministre, le centre de l’enclave est particulièrement ciblé. Les hôpitaux sont à bout de forces et les blessé·s graves n’ont quasiment plus aucune chance de survie, selon les ONG. (...)
Selon la juriste, « on pourrait comparer ce qu’il se passe à Gaza avec les génocides rwandais et bosniaque ». Mais elle parle surtout de « nettoyage ethnique ». (...)
Francesca Albanese (...) Israël est en train de faire quelque chose de très cynique qui n’est jamais arrivé dans l’histoire à ma connaissance. On pourrait comparer ce qu’il se passe à Gaza avec les génocides du Rwanda et en Bosnie [dans la région de Srebrenica en 1995 – ndlr], à la différence qu’à Gaza aujourd’hui l’information est bloquée et le crime invisibilisé. Le cynisme est tel que les Israéliens savent que ce qu’ils sont en train de faire est criminel et le présentent comme nécessaire... Or il n’y a aucune nécessité militaire. Ils sont en train d’abuser d’une population désespérée.
Vous estimez donc le terme de génocide adapté ? (...)
Personnellement, je dénonce un nettoyage ethnique. (...)
Israël est en train de forcer les gens à se déplacer. On les affame et on les torture, y compris les enfants.
Le risque de génocide se matérialise de plus en plus : cela devient évident y compris quand on écoute les discours des politiques et militaires israéliens qui demandent l’éradication des Palestiniens de Gaza. Dans leur folie éliminatrice et meurtrière, les Israéliens ont perdu toute pudeur. Ils en parlent comme s’il était normal d’aspirer à l’anéantissement d’une partie d’un peuple. (...)
Je comprends combien le débat est délicat. Mais c’est justement parce que la leçon du génocide contre les juifs a été forte que nous avons une responsabilité collective à reconnaître quand ce crime peut se dérouler ailleurs.
Aucun peuple ne doit être au-dessus de la loi. On ne peut pas justifier les crimes d’Israël par les souffrances antérieures des juifs. La tragédie européenne s’est renversée sur les Palestiniens qui payent depuis 75 ans pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. (...)
Le génocide, plus que tout autre crime contre l’humanité, a une obligation de prévention. D’autant plus qu’il n’y a pas à prouver qu’il y a un génocide en cours mais seulement un risque de génocide. Les États ont alors l’obligation d’intervenir et ce, de plusieurs manières.
En premier lieu, il faut arrêter d’exporter des armes et de l’aide militaire à Israël. Ensuite, la Charte des Nations unies offre des mesures diplomatiques et politiques qui peuvent conduire à la suspension des relations diplomatiques avec les principaux partenaires d’Israël. Je pense notamment à l’Union européenne, les États-Unis et le Canada qui, en ne rompant pas leurs liens avec l’État hébreu, soutiennent activement ce qu’il se passe dans les territoires palestiniens (...)
Cela fait maintenant des années que nous disposons des preuves de crimes de guerre, notamment en Cisjordanie : la documentation de son annexion est très abondante et provient directement du gouvernement israélien. Qu’attendons-nous alors pour lancer des mandats d’arrêt ?
Évidemment, je sais qu’il existe des pressions politiques exercées sur la CPI, notamment américaines. (...)
Il est légitime de se poser la question de l’utilité d’un conseil de sécurité qui ne fonctionne que dans le sens des amis des États-Unis. (...)
Israël a toujours été autorisé à s’autogérer et a été exonéré d’obligations onusiennes dans l’impunité la plus totale. Mes prédécesseurs, rapporteurs de l’ONU pour les territoires palestiniens, Michael Lynk et Richard Falk, ont, comme moi, été destinataires d’insultes et d’offenses. Les membres de la commission d’enquête sur Israël et Palestine ont aussi été victimes de chantage et d’abus.
Tout cela a été toléré. La conséquence de cette politique conduit aujourd’hui à l’agressivité d’Israël envers le secrétaire général de l’ONU António Guterres. Nous n’avons donné aucune limite à cet État et c’est allé trop loin. Il est urgent de stopper cette impunité avant que d’autres États ne prennent cet exemple. (...)
La seule manière soutenable de sortir de cette folie c’est d’avoir un plan sur le long terme qui permettrait le rétablissement de l’État de droit et du droit international. On ne peut plus laisser perdurer la loi martiale israélienne appliquée dans les territoires palestiniens occupés et qui conduit à l’oppression permanente du peuple palestinien. (...)
Avant toute chose, il faut déclarer un cessez-le-feu et déployer une mission de paix et de protection de l’ONU dans les territoires palestiniens, ce qui permettrait aussi une démilitarisation du territoire et l’entrée de l’aide humanitaire nécessaire. Dans les années qui suivront, il faudra évidemment organiser des élections pour savoir qui administrera les territoires palestiniens. Ce sera malheureusement beaucoup plus difficile aujourd’hui d’empêcher un vote pour le Hamas.
D’ailleurs, si l’objectif de cette opération militaire israélienne est de « déradicaliser » le Hamas, c’est tout l’inverse qui se passe aujourd’hui. (...)
Je rappelle que le Hamas n’existait pas avant les années 1980, c’est un produit fabriqué par l’occupation et l’oppression.
Selon moi, la définition du génocide inscrite à l’article 2 de la convention sur le génocide s’applique au cas actuel de Gaza. Anéantir la capacité des hôpitaux de soigner les blessé·es et bloquer la fourniture de produits de première nécessité en est un exemple. En plus des bombardements violents, les Palestiniens meurent à cause du manque de médicaments, du manque d’eau et de nourriture et des maladies qui sont en train de se diffuser dans la population.