
L’artiste gazaoui Abod Nasser a vécu l’enfer à Gaza, mais au lieu de crayonner l’horreur, il dessine l’entraide et les techniques de survie des habitants. L’humanité au milieu des bombes.
(...) « Je ne connais que Gaza, dit-il à Paris, où il est arrivé fin avril, j’ai vécu à Jabalia, dans le nord du territoire. Je n’étais sorti qu’une fois, une semaine, pour aller en Cisjordanie, quand j’avais 17 ans. C’est alors que j’ai pris vraiment conscience, en traversant des murs pour sortir, que nous étions enfermés. » (...)
Il livre des bribes de sa vie depuis des mois. « Comme tout le monde à Gaza, j’ai perdu des membres de ma famille, j’ai vécu dans une tente, j’ai eu faim. Un de mes plus chers amis, avec qui j’avais été à l’école, est mort. Nous sommes toujours restés chez nous, dans le nord de la bande. En décembre 2023, les tanks sont venus dans le quartier, avec des soldats ; nous sommes restés silencieux, sans bouger, plusieurs jours dans la salle de bain, à six, pour se cacher. » (...)
Les soldats sont repartis. La vie a repris, au rythme des bombes, de l’inquiétude pour les proches, de la détresse pour les morts, de la course incessante pour prendre des nouvelles, pour aider, ou pour trouver les moyens de survivre au quotidien.
« Quand il n’y avait plus rien, on mangeait les herbes sauvages, et on a pris de la nourriture qui restait dans les maisons abandonnées. L’aide arrivait dans le sud, mais beaucoup plus difficilement dans le nord. Pendant des mois, j’ai bu de l’eau salée. » Un temps. « Le corps est plus résistant à Gaza qu’ici », à Paris. (...)
Dessiner dans la ville dévastée
C’est au cours de ces courses incessantes dans la ville dévastée qu’une nouvelle série de dessins est venue. « Avec mon frère, on se demandait comment ramener l’électricité. On a fait des croquis pour se représenter comment faire. Et puis j’ai regardé les gens monter de l’eau dans les étages, j’ai dessiné. » (...)
Et au fil des observations des mille moyens par lesquels les Gazaouis répondent aux besoins dans le plus grand dénuement, il a décrit cet art incroyable de la débrouille et de la récupération, par des dessins techniques, décrivant les différentes pièces (récupérées ou fabriquées à partir de fer ou de bois) et comment les assembler.
On y apprend comment se connecter à internet, comment fabriquer un poêle, une aiguille à coudre, un fer à repasser, un chariot à roulettes, une... prothèse de jambe amputée, en détournant les objets et en récupérant les matériaux. (...)
Maintenant, il reste ces dizaines de dessins racontant la vie quotidienne de Gaza martyrisée par l’armée israélienne : rien apparemment d’artistique, mais un témoignage concret de l’ingéniosité d’un peuple qui n’abandonne pas son droit à vivre, et à vivre chez lui.
La maison d’Abod a brûlé, elle est toujours debout, mais Abod a perdu tout son travail. Sauf ces deux carnets à spirale, de papier Canson, qu’il a pu passer dans un dossier quand il a franchi la frontière de Rafah, grâce à un programme d’accueil d’artistes réfugiés mis en place à l’École des arts décoratifs de Paris.
On pourrait voir dans son travail un catalogue écologique de la survie low-tech. Et c’est cela, bien sûr. (...)
Mais il y a aussi dans ces dessins, en pudeur, sans mots, sans discours, l’affirmation d’une réalité imprescriptible : le peuple palestinien revendique sans rien céder son droit à vivre, à vivre sur son sol, et malgré les bombes, les tirs, le mépris, il exprime par un art unique du quotidien que rien ne peut empêcher la survie de celles et ceux qui veulent vivre libres. (...)