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Mediapart
À Bordeaux, soigner les corps éreintés des livreurs à vélo « ubérisés »
#livreurs #uberEats #Deliveroo #exploitation
Article mis en ligne le 1er janvier 2024
dernière modification le 29 décembre 2023

À la Maison des livreurs, inaugurée en février, Médecins du monde organise chaque semaine des consultations médicales très appréciées. S’intéresser à la santé des forçats de la pédale revient à mettre en lumière la précarité extrême qu’ils subissent, au travail et dans leur vie quotidienne.

Ils débarquent, énorme sac Picard, Foodora ou Deliveroo sur l’épaule, couverts de vêtements de pluie et chaussés du mieux possible. « Le médecin est là ? », « Le kiné, il est arrivé ? » À Bordeaux, non loin de la gare, la Maison des livreurs offre depuis février dernier une halte bienvenue à des dizaines de forçats des plateformes, travaillant avec les applications Uber Eats ou Deliveroo. Et parmi les services et ateliers proposés, les consultations médicales sont très appréciées.

Partout dans les modestes 75 m2 mis à la disposition par la métropole, qui accueillaient auparavant les Restos du cœur, des téléphones et des batteries de vélo électrique sont branchés sur les multiprises qui s’accumulent. Sur les deux canapés, des hommes se reposent, les yeux rivés sur leur écran. (...)

À tour de rôle, l’un ou l’autre se lève et se faufile dans le bureau, qui accueille dans un coin une table d’examen médical. C’est là que, plusieurs après-midis par semaine, Médecins du monde organise des consultations ou des rendez-vous de kinésithérapie à destination des livreurs à vélo qui travaillent dans la métropole bordelaise. Très souvent au mépris de leur santé. (...)

« Passer entre dix et seize heures par jour sur un vélo, six jours sur sept, par tous les temps, c’est dangereux, ça fait du mal au corps », résume Jean-Luc Taris, infirmier, et responsable de mission aguerri chez Médecins du monde (MdM). Il y a bien sûr le risque d’être impliqué dans un accident de la route : « Pour toute la France, on recense 17 décès et 19 accidents graves depuis 2019, et ces chiffres sans doute sous-évalués, décrit Jonathan L’Utile Chevallier, le coordinateur de la Maison des livreurs bordelaise. Si cela concernait n’importe quelle entreprise traditionnelle, cela ferait scandale. » (...)

« Le souci de la santé des livreurs n’existe pas pour les plateformes » (...)

MdM et la Maison des livreurs ont choisi d’alerter sur « les morts brutales, la souffrance physique et psychique des livreurs ». Sans oublier de pointer « les graves lacunes des plateformes en termes de prévention des risques » et « l’absence d’un cadre légal » qui leur imposerait d’en faire davantage. (...)

« 70 % des inscrits à la Maison des livreurs ont moins de 30 ans et une majorité d’entre eux sont en situation irrégulière, ou en transition : attente de récépissé de titre de séjour, avec le droit de travailler ou non, ou en attente de son renouvellement », détaille Jonathan L’Utile Chevallier. (...)

Pour travailler, les sans-papiers sont contraints de sous-louer le compte de travailleurs enregistrés sur la plateforme, ce qui dégrade encore leur rémunération, comme Mediapart le racontait récemment. (...)

Leurs conditions de vie sont tout aussi rudes que leur travail. (...)

C’est d’ailleurs en travaillant dans les squats et les bidonvilles que Médecins du monde a découvert les problématiques propres aux livreurs. Les soucis physiques ne sont donc pas les seuls qu’il faut surveiller. « Leur santé mentale est très abîmée par leur parcours migratoire, puis par les conditions d’accueil difficiles et les conditions d’habitation tout aussi précaires, le mauvais accueil des restaurateurs et des consommateurs, les discriminations, la violence verbale ou symbolique qu’ils subissent, une forme de harcèlement policier, énumère Jean-Luc Taris. Il y a beaucoup de facteurs aggravants. »

Droits de santé (...)

Écrasante précarité (...)

Pour confronter leurs constatations de terrain à une analyse plus large et plus poussée, le médecin et l’équipe associative bordelaise comptent beaucoup sur une étude coordonnée par l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, en cours de finalisation et qui devrait être publiée dans les prochaines semaines. Elle portera sur la « santé physique et mentale » des travailleurs des plateformes de livraison.