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Mediapart
À Bogotá, le Sud global défie l’Occident sur la Palestine
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #solidarites #GroupedeLaHAye #SudGlobal
Article mis en ligne le 18 juillet 2025

Le Groupe de La Haye, une coalition pour la Palestine qui réunit des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie du Sud, a convoqué plus de trente pays à Bogotá pour convenir de sanctions contre Israël. En parallèle, des mobilisations citoyennes ont lieu dans la capitale colombienne.

Ces jours-ci, les couleurs vives du centre colonial de Bogotá sont émaillées de keffiehs palestiniens. « Vive la juste lutte du peuple palestinien ! », lance la voix rauque d’un habitué des manifs, suivie d’un « Viva ! » de la foule, dans la tradition des harangues propres aux mobilisations de la gauche latino-américaine. Mercredi 16 juillet, quelques centaines de personnes sont venues aux abords du ministère des affaires étrangères colombien, où se terminait la réunion du Groupe de La Haye, pour manifester leur soutien à la cause palestinienne.

« Où sont-elles ? On ne les voit pas, les sanctions contre Israël ! », clame une foule emportée par les tambours d’une batucada. Arborant le costume gris protocolaire de sa fonction, Mauricio Jaramillo, vice-ministre des affaires étrangères colombien, est descendu à la rencontre des manifestant·es. « La Palestine vaincra ! », scande-t-il, poing levé, en chœur avec le cortège. En organisant le sommet de Bogotá, le gouvernement du président Gustavo Petro confirme son soutien sans faille à la Palestine et sa volonté de voir Israël sanctionné. Un positionnement qui fait largement consensus parmi les mouvements sociaux du continent.

« Nous sommes des peuples frères du Sud global, touchés par la même violence. Des peuples frères dans la tragédie historique, mais aussi dans la résistance au colonialisme », explique Roman Vega, coordinateur du People’s Health Movement (Mouvement pour la santé des peuples). (...)

À quelques dizaines de mètres, au siège de la chancellerie, la réunion d’urgence du Groupe de La Haye annonce ses décisions. Coprésidée par la Colombie et l’Afrique du Sud, la conférence ministérielle a rassemblé des représentants de plus de trente États autour d’un objectif : passer des paroles à l’action collective pour la défense de la Palestine.
Sanctions et actions judiciaires

Au terme de deux jours de délibérations, six mesures concrètes visant à faire pression sur Israël ont été annoncées. Les pays signataires se sont engagés à interdire la vente d’armes, de munitions et d’équipements militaires à Tel-Aviv, ainsi qu’à fermer leurs ports aux navires transportant du matériel de guerre vers l’État hébreu.

La coalition prévoit également de réviser l’ensemble de ses contrats publics afin d’éviter que les ressources d’État ne financent directement ou indirectement l’occupation israélienne. Et elle s’engage à promouvoir des actions judiciaires nationales et internationales pour crimes de guerre, tout en soutenant les mécanismes de juridiction universelle.

Plusieurs membres du groupe ont déjà traduit leurs engagements en actes.

L’Afrique du Sud a ouvert la voie en saisissant la Cour internationale de justice contre Israël pour génocide. La Colombie, traditionnellement équipée d’armements israéliens comme les fusils Galil, a cessé ses achats militaires et rompu ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv en mai 2024. La Namibie a interdit le passage dans ses eaux aux navires transportant des armes vers Israël.

La question des matières premières, défendue par Francesca Albanese, n’a cependant pas trouvé une place explicite dans la déclaration finale du Groupe de La Haye. « Si ces États membres décidaient de cesser de fournir du charbon à Israël et d’autres matières premières et ressources, cela aurait un impact considérable », avait plaidé la rapporteuse de l’ONU lors d’une conférence de presse à l’ouverture de la réunion. (...)

Lancé le 31 janvier à La Haye, ce groupe informel rassemble initialement huit pays : Bolivie, Colombie, Cuba, Honduras, Malaisie, Namibie, Sénégal et Afrique du Sud. Ces États dénoncent l’impuissance des institutions internationales face aux violations systématiques du droit par Israël. (...)

« Nous, les gouvernements du Sud global, n’acceptons pas que le droit soit otage de la géopolitique. » L’initiative puise son inspiration dans l’histoire de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. (...)

Au total, une trentaine de pays ont envoyé des délégations à la conférence de Bogotá sur la Palestine. Parmi celles-ci, des représentants d’États accusés de bafouer les droits humains sur leur propre territoire, comme Cuba, la Chine ou la Turquie. Une présence paradoxale pour une coalition qui dénonce les violations du droit international, même si ces participants controversés sont restés discrets. (...)

Gustavo Petro, l’hôte de cette conférence, utilise des mots particulièrement virulents pour condamner la guerre génocidaire à Gaza. Le premier président de gauche de l’histoire colombienne a ainsi déclaré, à l’issue de la conférence : « Gaza n’est qu’une expérience menée par les mégariches pour montrer à tous les peuples du monde leur réponse face à une rébellion de l’humanité. » Il qualifie sans précaution le gouvernement israélien de « nazi ». Une posture qui rappelle celle d’Hugo Chávez au Venezuela ou d’Evo Morales en Bolivie, autres dirigeants latino-américains ayant ardemment défendu la cause palestinienne. (...)

Si l’Espagne et l’Irlande ont envoyé des délégations en Colombie, la majorité des pays européens brillent par leur absence.

« C’est triste d’en venir à se demander : que fait l’Europe ? Pourquoi ne défend-elle pas les droits de l’homme et les valeurs qu’elle a toujours revendiquées ? », interroge Victor De Currea-Lugo, conseiller du président colombien sur la Palestine. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens et invitée vedette de la conférence, se montre encore plus cinglante : « Les pères fondateurs de l’Union européenne doivent se retourner dans leur tombe. »

Un défi aux puissances occidentales

La représentante onusienne avait appelé les États présents à rompre toute relation avec Israël et à engager des mesures juridiques et économiques concrètes. « Nous assistons à l’émergence d’un nouveau multilatéralisme, fondé sur des principes courageux portés de plus en plus par la majorité mondiale » – un terme qu’elle dit préférer à celui de « Sud global », mais dont Vladimir Poutine fait aussi son miel. (...)

Pour elle, le sommet de Bogotá marque un tournant : « L’immense souffrance de la Palestine a ouvert la possibilité d’une transformation. Un changement révolutionnaire est en cours. » (...)

« Les trente-deux États réunis à Bogotá pour le Groupe de La Haye forment le nouveau mouvement des non-alignés à la politique génocidaire israélienne », a déclaré dans la même veine Rima Hassan. L’eurodéputée de La France insoumise (LFI), invitée à la conférence, souligne qu’elle se tient au moment où l’Union européenne a décidé de ne pas suspendre l’accord d’association avec Israël.

Les experts demeurent cependant sceptiques quant à l’impact réel de cette conférence. « Il serait très ingénu de penser que ces annonces vont changer quelque chose aux agissements d’Israël », observe l’universitaire Sandra Borda. Le poids géopolitique limité des États participants ne leur permet pas d’imposer des sanctions susceptibles de modifier l’équilibre des forces dans le conflit israélo-palestinien. (...)

« Pour les habitants de Gaza et la population palestinienne qui subissent ces crimes contre l’humanité, tout soutien international et tout effort pour construire un message international collectif seront toujours utiles », admet Sandra Borda.