
Lors d’un débat au cloître Saint-Louis, la leader de la CGT a proposé un processus de discussion transpartisan pour reconstruire un consensus autour du rôle et de la place de la culture dans la société française.
(...) En quelques secondes, un silence religieux s’est installé dans la cour du cloître Saint-Louis, au festival Off d’Avignon. Une centaine de personnes venaient d’écouter Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, et Maria Carmella, coprésidente de France Festivals, débattre sur le thème : « La culture comme fondement de la démocratie ? ». On était passé aux questions du public et la voix d’une femme assise au dernier rang s’est élevée…
« Je n’ai pas l’habitude de prendre la parole. Je voulais juste faire un témoignage. Je suis ouvrière. Et je suis là. Pardon. Et mes congés, c’est le Festival d’Avignon. Parce que j’en rêvais. Et j’ai ma place ici. Je ne comprends pas tout. Je n’ai peut-être pas toutes les références, parce que je n’ai pas eu la famille qu’il faut. Mais peu importe. Moi, je suis humaine. Moi, j’ai besoin d’art dans ma vie. Pour donner du sens à ma vie comme n’importe qui. Et ça me parle. Et ça me fait rêver. Et ça fait chaud en moi. Et j’en ai besoin. Et je veux que ce soit public. Parce que j’écoute France Culture un peu. Et j’écoute France Inter. Moi aussi. Je n’écoutais pas avant. Ben non, j’écoutais la télé. Et j’ai entendu, j’ai écouté, j’ai tendu l’oreille, j’ai dit c’est sympa, c’est doux. Je me suis habituée. Mon oreille s’est habituée. On s’habitue à tout. À l’art, à la beauté, à la connaissance. Et je veux absolument que vous continuiez ce que vous faites. Pour moi, c’est super important. Vital même. Surtout en ce moment. »
Elles sont loin les années Lang
Les applaudissements ont éclaté spontanément, nourris, longs. Comme un remerciement à ce témoignage que le public, pour partie composé d’artistes, était heureux d’entendre. Qui redonnait soudain tout son sens à ce métier qu’ils aiment tant et aujourd’hui si décrié dans les discours populistes d’une partie de la droite et de l’extrême droite. (...)
Comment ne pas voir aussi dans ce « J’écoute France Culture un peu et France Inter aussi » un écho aux propos de Rachida Dati, sur la radio publique le 7 mai dernier. La ministre de la Culture y cantonnait France Inter à un « club de CSP + » coupé des jeunes et des classes populaires. « C’est une réalité, c’est comme ça », assénait-elle avant de conclure en rappelant que son père était maçon : « Le maçon aujourd’hui n’écoute peut-être pas France Inter, et je le regrette. » Des propos qui continuent de faire réagir. Lors du débat, Sophie Binet s’est emportée : « “Le maçon n’écoute pas France Inter”. C’est une phrase qu’on pourrait décliner : “le maçon ne va pas au théâtre”, “le maçon ne va pas au musée”… La ministre de la Culture véhicule des caricatures populistes et mensongères qui relèvent du mépris de classe. Pourquoi un maçon ne pourrait pas écouter France Culture ? C’est qui, cette multimillionnaire qui nous fait des leçons de lutte des classes ? Quelle honte ! » (...)
La leader de la CGT ne s’en est pas tenue à ce registre belliqueux. Face à la sévérité de la crise qui touche le monde de la culture, elle a appelé, durant le débat, à la tenue d’États généraux de la culture et prôné une démarche non partisane, rassemblant les acteurs culturels et des élus de droite et de gauche comme à l’époque du Conseil national de la Résistance. À neuf mois des municipales et un an et demi de l’élection présidentielle, elle estime que le moment est bien choisi pour lancer cette réflexion. (...)
Remettre notre modèle à plat
C’est déjà ce qu’avait initié il y a trente-huit ans l’ancien sénateur et maire communiste d’Aubervilliers, Jack Ralite, aujourd’hui décédé. Ce défenseur acharné de la culture avait lancé en 1987 des États généraux de la culture, un vaste mouvement de réflexion auquel des milliers d’artistes et élus de tous bords s’étaient associés et qui avait abouti à une « Déclaration des droits de la culture ». Dans l’appel à ces États généraux, Jack Ralite écrivait : « Un peuple qui abandonne son imaginaire culturel à l’affairisme se condamne à des libertés précaires. » (...)
Dans un monde aussi clivé, proposer comme le fait Sophie Binet de reconstruire un consensus transpartisan autour d’une vision commune de ce que doit être une politique culturelle, peut paraître utopique. C’est pourtant nécessaire. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir, un système de financement de la culture en train d’imploser, une censure et une autocensure qui n’ont jamais atteint de tel niveau depuis les débuts de la Ve République, et une remise en cause sans précédent du rôle de la culture et des artistes… Tout concourt à remettre notre modèle à plat et tenter de le réinventer.