
Éviter les émotions, Vivre les émotions, est le dernier livre d’Antonino Ferro traduit de l’italien et paru en français aux éditions d’Ithaque . Dans cet ouvrage à l’écriture psychanalytique résolument non conventionnelle, le psychanalyste italien nous propose un voyage clinique au plus proche des processus émotionnels.
Au fil des dix chapitres qui le composent, Ferro invite le lecteur à mieux appréhender les parts émotionnelles du fonctionnement psychique engagées dans le processus psychanalytique, partant de l’origine et des modalités de leur formation pour cheminer vers une compréhension de leurs voies d’expression et de partage au sein de toute relation humaine. Pour ce faire, l’auteur utilise une organisation narrative où fond et forme s’articulent étroitement, permettant au lecteur de se sentir impliqué dans la compréhension des processus émotionnels. (...)
Le lecteur averti de la pensée freudienne se verra sans nul doute dérouté par le cheminement proposé. Ferro cuisine sa clinique comme il fait mijoter le lecteur. Il nous promène, nous fait voyager. Parfois, il nous distancie, en produisant des accélérations, mais toujours, il nous ménage, il se retourne et revient nous chercher par une voie détournée. Au fil de la lecture, nous découvrons que l’essentiel du travail de pensée se produit au moment où il nous lâche, où sa pensée s’accélère et où nous le voyons partir au loin. Nous sommes, l’espace d’un instant, seuls, sans vraiment savoir dans quelle direction aller, et ce sont ces instants répétés qui favorisent chez le lecteur un mouvement d’insight fécond au niveau de la pensée. (...)
Considérant qu’« être freudien ne signifie pas autre chose que s’aventurer là où la route n’est pas tracée » , Ferro souligne l’importance de développer des modalités d’écoute adaptées aux besoins des patients. Il estime ainsi que les critères visant à évaluer si un patient peut bénéficier d’une analyse ne mesurent bien souvent rien d’autre que la disponibilité et la capacité de l’analyste à s’engager dans des situations difficiles, dans une aventure inconnue, plutôt que dans « des voyages organisés et calmement prévisibles » . Ces terres inconnues sont aussi celles des parts non-névrotiques de l’analyste, territoires qu’il lui faudra aller rencontrer s’il veut pouvoir prendre en compte tous les aspects de la psyché du patient, celle-ci incluant des parts borderline, autistiques ou psychotiques.
Lorsque des paramètres de la réalité extérieure entravent la possibilité d’une analyse ordinaire (dont il souligne l’importance de référence), tout comme lorsque la clinique du patient vient bousculer nos habitudes nous entraînant dans des zones inconnues, il faut alors mobiliser dans l’analyse un travail de réflexion sur les défenses qui émergent chez l’analyste lui-même. Ferro évoque ainsi certains aménagements du cadre dans des « analyses concentrées » sur deux jours par semaines , d’autres par téléphone, etc., l’objectif de ces aménagements devant être au service du patient, afin de lui rendre accessible l’analyse, même lorsque certaines embûches semblent se dresser. Il convient aussi de la nécessité d’aménager les conditions de rencontre afin que l’on puisse « arriver à construire, petit à petit, le dispositif analytique le plus consensuel possible » .
C’est à partir de telles conceptions que l’auteur travaille la psychanalyse, une analyse renouvelée dont « le but […] n’est alors plus de soulever le voile du refoulement ou d’aborder les clivages, mais plutôt de développer des outils […] qui favorisent la production et l’élaboration de la pensée elle-même, des instruments pour rêver et pour penser. » (...)