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Vous avez dit « sociétal » ?
Article mis en ligne le 19 août 2015
dernière modification le 15 août 2015

« Social ou sociétal, la gauche doit-elle choisir ? », s’interroge-t-on régulièrement, de Libération à France Culture, en passant hélas par bien d’autres espaces politiques, intellectuels et militants qui se veulent dissidents, subversifs, alternatifs... Et cela sans vraiment questionner les termes du débat. Dans le texte qui suit, nous revenons sur cette opposition qui n’est pas seulement une fausse opposition, mais aussi une redoutable hiérarchisation des questions pensées comme prioritaires ou secondaires.

Le racisme, le sexisme, l’homophobie ou la transphobie sont en effet présentés très souvent comme des questions « sociétales » par opposition à « la question sociale », réduite à sa seule dimension « économique » – sans, en outre, que soient prises en compte les dimensions proprement économiques de l’oppression raciste, homophobe, sexiste ou transphobe. Ce qui revient, de manière plus ou moins assumée, à reléguer les luttes antiracistes, homosexuelles, féministes ou trans au rang de fronts secondaires, qu’il serait par conséquent avisé de sacrifier à « l’urgence sociale » – et de repousser aux calendes grecques. Plus violemment encore, certains, au sein même de la « gauche de gauche », vont jusqu’à accuser les non-blanc-he- et antiracistes et/ou les féministes et/ou les trans et/ou les homosexuel-le-s de semer la division et la diversion, et de faire le jeu du Capital, ou de l’Ordre Blanc... C’est à ce gauchisme bio- andro- hétéro- et/ou blanco-centré, et à sa version social-démocrate incarnée aujourd’hui par la « Gauche populaire », que s’attaque le texte qui suit, en rappelant que les questions dites raciales et sexuelles, loin d’être distinctes de la question sociale, en sont, au même titre que la question de classe, des composantes essentielles. (...)

Nulle hiérarchie ne peut en fait être établie entre un front principal, le front de classe, sur lequel les dominants ne céderaient rien, et des fronts secondaires, les dominations racistes et hétérosexistes, sur lesquels ils seraient prêts à lâcher du lest.

Stratégies de division et alliances opportunistes

Car après tout, s’ils savent adopter des postures antiracistes, féministes et même gay-friendly à des fins de stigmatisation des classes populaires (disqualifiées comme racistes, sexistes et homophobes), la réciproque est tout aussi vraie : les gardiens de l’ordre raciste et hétérosexiste – qui sont souvent mais pas toujours les mêmes que les défenseurs de l’ordre capitaliste – adoptent avec tout autant de facilité une posture et un vocabulaire populiste, ouvriériste voire classiste quand il s’agit de disqualifier le mouvement féministe, les revendications homosexuelles ou les luttes de l’immigration : les unes sont stigmatisées comme des bourgeoises mal baisées, les autres comme des nantis du Marais, les troisièmes comme une « beurgeoisie » bobo terrorisant les pauvres petits-blancs-prolétarisés-qui-votent-FN, et tou-te-s sont accusé-e-s de méconnaître la pauvreté voire de mépriser les pauvres – forcément mâles, blancs et hétérosexuels.

Au mépris de classe déguisé en antiracisme ou en féminisme répond symétriquement ce que Christine Delphy a nommé la haine des femmes déguisée en amour des prolétaires, à quoi il convient d’ajouter la haine du garçon arabe déguisée en féminisme pro « beurette » et la haine de l’immigré déguisée en compassion pour le prolétariat lepénisé, ou à l’inverse – chez un Alain Soral par exemple – la haine des femmes et des Juifs déguisée en amour des Arabes. Bref : le pouvoir manie à la perfection la division et les alliances opportunistes, et aucun groupe dominé ne peut vraiment, à cet égard, se prévaloir d’un traitement de faveur . (...)