
Entre Marseille et Aix, une immense zone commerciale s’étend sur 250 hectares. Paradis consumériste, océan de voitures et de béton ouvert le dimanche, Plan-de-Campagne est malgré tout une destination de sortie en famille, un lieu de « promenade » qui a une « âme ».
Lorsque l’on ressort de Leroy-Merlin, la lumière du jour est aussi aveuglante que la chaleur est écrasante. Les quelques arbres du parking sont trop maigres pour faire de l’ombre, et la voiture est une fournaise. On est pourtant obligés de la prendre, à moins de vouloir faire quelques kilomètres à pied sous le cagnard : s’il y a bien trois lignes de bus qui relient Plan-de-Campagne aux villes alentour, il n’y a pas de navettes internes à la zone commerciale. Ici, le mode de vie « à l’américaine » est roi : tout se fait en voiture, et, contrairement aux centres commerciaux de Marseille et Aix, « les parkings sont gratuits », se félicitent plusieurs clients rencontrés. (...)
« À l’américaine » aussi, la démesure du lieu : 250 hectares, 519 enseignes, un milliard d’euros de chiffres d’affaires par an, quelques 7.000 emplois salariés et environ 70.000 véhicules qui passent chaque jour dans la zone, dont les deux tiers qui s’y arrêtent, pour faire des achats ou y passer du temps. Car Plan-de-Campagne est aussi, et de plus en plus, un lieu de loisirs, avec cinéma multiplexe, bowling, « trampoline park », laser game, mini-golf, restaurants par dizaines, boîte de nuit et même un théâtre… On peut donc se « divertir » dans la zone commerciale sans acheter un objet – tant qu’on a de l’argent à dépenser. (...)
« C’est sûr que je préfèrerais aller à pied, avec la poussette, dans un magasin à côté de chez moi… Mais il n’y en a pas ! »
« Parfois, on vient juste pour se promener avec les enfants, aller au cinéma ou prendre le goûter » (...)
Pour Thibaut Besozzi, docteur en sociologie à l’université de Reims et auteur de La société des galeries marchandes (Éd. Téraèdre, 2017), cette transformation progressive des zones commerciales en zone de divertissement est une tendance lourde de ces vingt dernières années : « Les centres commerciaux vendent désormais des « expériences », du « bien-être ». Ils créent des événements, souvent destinés aux enfants, pour attirer les familles. » Avec cette idée que plus les gens restent longtemps dans le centre commercial, plus il y a de chances qu’ils consomment. Le chercheur ajoute :
Parallèlement, un usage non économique du lieu s’est développé. Des personnes âgées, des adolescents, viennent simplement y passer du temps, se retouver, sans aucune optique d’achat »
Des choix politiques ont conduit au « remplacement des places de villages par les centres commerciaux » (...)
Plan-de-Campagne est donc devenu au fil des années un lieu de vie, dont les promoteurs jurent qu’il a « une âme »… Mais si le développement des loisirs y est une stratégie évidente, la réduction de l’impact écologique de la zone n’est pas une priorité. Aucune mention n’en est faite sur le site internet. (...)
Plan-de-Campagne a englouti plus de 250 hectares de terres agricoles et en grignote régulièrement davantage
Son cheval de bataille reste la construction d’une gare : « Cela fait des années que l’on travaille à l’aménagement de cette halte ferroviaire et du pôle d’échange multimodal… Mais on n’est pas suivi par les institutions, alors que faire ? », se lamente Robert Abela, évoquant le nouveau retard pris par les pouvoirs publics sur ce dossier. (...)
on ne peut s’empêcher de voir un paradoxe à la vente de produits agricoles locaux, alors que Plan-de-Campagne a englouti plus de 250 hectares de terres agricoles et en grignote régulièrement davantage. Entre Leroy-Merlin et le magasin Truffaut, on tombe d’ailleurs sur d’anciennes fermes, à moitié en ruines, taguées ou servant de support à de panneaux publicitaires. Les fantômes d’une époque révolue… Ou, peut-être, les signes annonciateurs d’un futur pas si lointain.