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France Bleu et France 3
Viré pour avoir alerté sur une pollution à l’arsenic en Cerdagne
#lanceursdalerte
Article mis en ligne le 2 mai 2023

Après plusieurs années d’expérience dans l’aménagement urbain près de Marseille, Thierry Deschamps espérait commencer une nouvelle vie dans la collectivité Pyrénées Cerdagne près de Saillagouse (Pyrénées-Orientales) lorsqu’il est recruté pour un CDD de deux ans en juin 2018. Un poste plus précaire que celui qu’il quitte, mais il est confiant. Sa mission est d’aider la collectivité à prendre en charge de nouvelles compétences sur l’eau : eau potable, assainissement, marché de l’eau, prévention des inondations, bon état des milieux aquatiques… Le recrutement se passe bien. Il est donc persuadé de s’installer dans la région pour longtemps.

(...) Il remonte l’historique de ces analyses et s’aperçoit que depuis 2010, la pollution ne fait que croître sur ce point précis qui se trouve être à la confluence du Canal Verdier et du Carol. “D’année en année le taux faisait plus que doubler”, explique l’ex-agent territorial.

Des polluants en augmentation

Le rapport cible même deux potentielles sources de cette pollution : les anciennes mines de Porté-Puymorens ou un site en Andorre. En comparant avec des données publiques, il comprend que cela correspond à une qualité médiocre du milieu aquatique. Thierry Deschamps se pose alors plusieurs questions : d’où vient précisément cette pollution ? Pourquoi augmente-t-elle ? Est-ce que cela peut être néfaste pour la santé des usagers ? Peut-on y mettre fin pour préserver l’environnement ? (...)

le prochain rapport d’analyse n’est prévu qu’en 2025, ce qui lui semble un peu long pour laisser couler cette pollution dans la rivière. Il propose donc à sa hiérarchie de solliciter la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour poursuivre les analyses et répondre à ses interrogations. Mais c’est là que ses ennuis commencent.

Conseil de discipline et fin de son contrat (...)

Thierry Deschamps finit par être convoqué en conseil de discipline, ce qu’il vit très mal. L’élu lui reproche son manque de discrétion professionnelle et de ne pas s’être conformé aux instructions de son supérieur. Finalement, il abandonnera la procédure en conseil de discipline en raison du Covid mais ne renouvellera pas son contrat. “J’aurais compris que l’on me reproche de ne pas avoir alerté sur cette pollution mais pas l’inverse”, explique Thierry Deschamps.

Une alerte reconnue

Malgré la procédure contentieuse qui s’engage, l’agent territorial s’inquiète toujours pour les usagers du cours d’eau. (...)

Il va contacter en avril 2020 la commission nationale de la déontologie et des alertes de santé publique et d’environnement (CNDASPE). Cette commission composée d’une vingtaine de membres, dont des experts scientifiques, estime que son alerte est justifiée. Elle va donc contacter la préfecture des Pyrénées-Orientales, la préfecture de région, l’ARS et la Dreal afin de savoir ce qu’il en est. Finalement de nouvelles analyses sont conduites en 2020 à la demande des agences de l’eau. Sans cette demande, ce serait allé beaucoup moins vite, nous ont confié plusieurs responsables d’analyse. (...)

Fin 2022, une réunion de restitution des résultats sur la problématique à l’arsenic dans la haute vallée de l’Ariège est organisée à la mairie de Porta. Le but est de prévenir les autorités andorranes mais aussi EDF, des responsables d’agences de l’eau et du conseil départemental. Les analyses se veulent rassurantes pour ceux qui irriguent leurs cultures. Deux stations de suivi des polluants dans l’eau sont aussi mises en place afin de poursuivre le contrôle de façon plus robuste. “Comme quoi il avait raison de s’inquiéter. S’il n’y avait pas de risque, deux agences de l’eau n’auraient pas créé ces stations de suivi”, estime le responsable d’un laboratoire d’hydrobiologie.
En attente de la décision d’appel

Thierry Deschamps est aujourd’hui rassuré de voir qu’il n’y a pas de risque pour les usagers mais il a perdu son poste. Au printemps 2020, il a aussi contacté le défenseur des droits qui lui reconnaît le statut de lanceur d’alerte. Il contacte également la Maison des lanceurs d’alerte, une association créée en 2018 pour apporter un soutien juridique aux cas comme le sien. “Il représente bien les lanceurs d’alerte du quotidien. On n’a pas uniquement des Edward Snowden ou des Irène Frachon, on a aussi beaucoup de lanceurs d’alerte qui dans le silence, sans que l’opinion publique le sache, font des alertes en interne”, estime Juliette Alibert, avocate de la Maison des lanceurs d’alerte. (...)

Dans sa décision du 6 juillet 2021, le tribunal reconnaît une nouvelle fois son statut de lanceur d’alerte mais n’accède pas à sa demande de revenir sur le non-renouvellement de son contrat. De toute façon, il paraît difficile de retourner travailler dans cette collectivité. Thierry Deschamps a tout de même fait appel et attend maintenant une date d’audience de la cour administrative d’appel de Toulouse. Il ne digère pas d’avoir été sanctionné pour avoir fait son travail.