
"Parties fines", "libertinage", ces formules euphémisantes continuent d’avoir cours dans la presse à l’occasion de la couverture du procès de Dominique Strauss-Kahn et de 13 autres hommes accusés de proxénétisme aggravé. Dans cette affaire dite du Carlton comme dans celle du Sofitel à New York, c’est toujours l’abjecte violence, celle dont faisait preuve (et aimait faire preuve) Dominique Strauss-Kahn, qui est ainsi niée. Violence dont témoignent les prostituées, et à leur insu les camarades de DSK, dans leurs efforts pathétiques pour faire passer des relations non seulement tarifiées mais surtout - là est le plus grave - imposées, en d’autres termes du viol, pour de la liberté sexuelle entre adultes consentants et modernes. Le texte qui suit est extrait d’un livre coordonné par Christine Delphy, Un troussage de domestique, paru quelques mois après l’arrestation de DSK à New York et traitait déjà du deux poids deux mesures dans le traitement médiatique des violences sexistes.
Dans le traitement médiatique du « troussage de domestique », les journalistes français ont, pour les moins personnellement affectés d’entre eux, voulu faire preuve de « retenue ». Ainsi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a-t-il, dès le 17 mai, engagé les télévisions à ne pas diffuser d’images de l’accusé menotté, conformément à une présomption d’innocence médiatique dont ne jouissent que trop rarement les inculpés de banlieue. Selon donc que vous soyez un jeune Noir de cité ou un vieux politicien blanc, les jugements médiatiques vous rendront sans la moindre retenue odieux violeur ou – « avec retenue » – séducteur malheureux.
Dans ce partage raciste des violences sexistes, il est également sous-entendu que seuls les hommes de la première catégorie détestent les femmes, de façon innée (chez ces gens- là) ou acquise (à cause de leur culture et de leur religion). Les hommes violents cultivés dans la culture dominante, à rebours, aiment les femmes – on dira souvent d’eux qu’ils les aiment mal, voire trop. Ainsi, la violence des élites sera-t-elle systématiquement justifiée dans la sphère des médias dominants.
Tandis que certains politiciens – et les médias qui les servent – rêvent de déchoir les premiers de leur nationalité, ils protègent les seconds du « puritanisme anglo-saxon » et du « système judiciaire américain », au fil de tribunes toutes en retenue ou de déclarations larmoyantes parce que leurs auteurs connaîtraient, eux, le vrai visage de DSK. Une flopée de psychologues et de psychiatres – utilisés pour innocenter l’accusé en suscitant la pitié du public plutôt que l’intelligence des faits – a été convoquée par les journalistes. On les trouve notamment dans les colonnes du Monde (« Les facteurs psychologiques de l’affaire DSK », 3 juin) et du Figaro (« Du FMI à la prison, la chute de DSK vue par les psychiatres », 17 mai).
Le recours à cette expertise est révélateur d’une partialité car elle transforme, par un tour de force frappé du sceau de la scientificité, l’accusé potentiellement coupable en victime de sa propre pulsion – le pauvre. Autrement dit, si on l’écrit avec la retenue des médias dominants : DSK aurait été la victime de sa pulsion de séducteur invétéré. (...)