
La journaliste Sophie Boutboul critique l’"inertie" des pouvoirs publics sur la question des violences conjugales commises par des policiers ou des gendarmes. Elle les appelle à réagir pour éviter de nouveaux féminicides.
Le 21 juillet, Le Canard enchaîné révélait que le policier qui avait recueilli la plainte pour violences conjugales de Chahinez Daoud, assassinée par son mari le 4 mai Mérignac (Gironde), avait lui-même été condamné pour des faits de violence sur son ex-conjointe en février. Co-autrice avec Alizé Bernard du livre Silence, on cogne (2019), qui porte sur les violences conjugales commises par des policiers et des gendarmes, la journaliste Sophie Boutboul estime que des “dizaines et des dizaines” de membres des forces de l’ordre sont concernés. Elle appelle les autorités à s’emparer du sujet pour protéger les victimes. (...)
Sophie Boutboul : Aujourd’hui en France, il n’y a pas de données officielles à ce propos. C’est un chiffre noir. C’est pour cela qu’une pétition circule depuis les révélations du Canard enchaîné pour obtenir davantage de transparence sur le nombre de policiers et de gendarmes concernés par des procédures de ce type. De mon côté, je travaille sur le sujet depuis 2017 et j’observe qu’il y a des dizaines et des dizaines de cas. Il suffit de faire un tour dans la presse locale pour s’en rendre compte. On peut aussi s’appuyer sur des chiffres à l’étranger. (...)
D’autres pays réfléchissent à cette question, comme l’Uruguay ou l’Angleterre, où des associations ou même les autorités comptabilisent les policiers et les gendarmes concernés par ces procédures. (...)
Quels problèmes spécifiques posent la question des violences conjugales commises par des policiers ou des gendarmes ?
Franchir la porte d’un commissariat quand on est victime de violences conjugales, c’est toujours d’une difficulté sans nom. Si la femme est victime de violences d’un policier ou d’un gendarme, une couche supplémentaire de problèmes s’ajoute. Il y aura des menaces très ciblées de la part de l’auteur : "c’est moi la loi", "la plainte reviendra sur mon bureau", "je te ferai passer pour folle"… Ce sont des menaces qui sont rapportées par plusieurs victimes, souvent dans les mêmes termes.
Quand un policier ou un gendarme est mis en cause, il bénéficiera souvent d’un traitement de faveur, car celui qui prendra la plainte est un collègue. Des procédures pourront disparaître ou être effacées sans qu’on comprenne bien pourquoi. Pour les femmes, il peut y avoir carrément de refus de plainte. C’est ce qui est arrivé à plusieurs reprises à la co-autrice de Silence, on cogne, Alizé Bernard. (...)
Dans le cas de Chahinez Daoud, on a vu que le policier avait mal transmis les informations au parquet. (...)
Le port de l’arme de service constitue-t-il un danger supplémentaire pour les femmes ?
Oui. Une étude de la médecin Alexia Delbreil montre que la possession d’une arme est un facteur aggravant de passage à l’acte dans le féminicide conjugal. (...)
Le ministère de l’Intérieur m’avait pourtant assuré que l’arme était retirée au moindre doute sur la dangerosité de l’auteur. C’était faux. C’est la politique du cas par cas qui domine. Pourtant, une grande vigilance est nécessaire sur ce sujet. (...)
Les autorités ont-elles conscience du problème ? Le combattent-elles ?
La question des violences conjugales commises par les policiers et les gendarmes n’a été traitée ni dans le Grenelle des violences conjugales en 2019, ni depuis. Il y a une inertie, une politique de l’autruche des autorités, qui refusent de voir ou affirment que ce sont des cas isolés. (...)
Pourtant, cela fait des années que les autorités sont alertées. (...)
Quelles mesures les autorités devraient-elles mettre en place ?
Certains syndicats de police militent pour une IGPN indépendante, qui ne serait pas composée de policiers, comme en Belgique ou au Canada, et estiment que cela pourrait aider les victimes de violences conjugales. Ils militent aussi pour des formations plus longues qui pourraient intégrer un module spécifique sur les violences conjugales commises par les policiers et les gendarmes, comme c’est le cas aux États-Unis. Il faut aussi faire attention au recrutement, même si cela paraît évident (...)