
(...) Nous ne parlons qu’en nos noms, ce qui ne signifie pas que ce que nous disons n’a aucun sens. Notre discours est marginalisé, ce qui ne signifie pas qu’il est fictif. Nous sommes un groupe de personnes assignées femmes et de personnes trans, qui subissons dans nos vies et dans le cadre de nos études à l’ENS (Ecole Normale Supérieure), des oppressions et agressions sexistes, lesbophobes, transphobes et biphobes. Notre parole est collective et anonyme, parce que nos conditions de vie dans cette école ne nous permettent pas de montrer nos visages. Nous avons témoigné de ces violences, ainsi que des propos racistes que nous avons souvent entendus dans l’école - bien que, depuis notre position de blanc-he-s, nous ne soyons pas les mieux placé-e-s pour en parler - dans un article paru lundi 9 janvier sur Rue89, et la réaction « collective » des normalien-ne-s scandalisé-e-s que l’on ternisse l’image de « leur école » n’a pas tardé.
Une pétition circule en effet depuis le jeudi 12 janvier, qui vise à nier la véracité des faits que nous dénonçons. « Aidez-nous à montrer qu’en tant qu’élèves et étudiants, nous aimons notre école et nous y sentons bien ! » : c’est le message final de cet acte de déni, que la direction de l’école soutient puisque le mail a été envoyé sur le serveur « élèves ».
(...) le développement des « BDE » crée de fait des lieux où les dominations sont exacerbées, d’autant plus qu’elles ne sont ni identifiées, ni combattues, la plupart du temps, par les organisations militantes. A l’ENS, l’extériorité quasi-totale des syndicats et du Collectif féministe par rapport au COF favorise ce déchaînement de violences. (...)
Ces organisations se définissent d’abord et avant tout par un rejet très fort de tout ce qui a trait au “politique”, domaine qu’elles ne définissent que vaguement, et qui a de fait un caractère très large et flou. Mais ce n’est pas qu’une définition négative, dans une opposition par exemple à un mode d’organisation de type syndicat : il y a une forme de militantisme paradoxal dans la façon dont ces organisations prônent leur caractère apolitique, et font en sorte d’exclure toute réflexion politique de leurs actions. (...)
pour divertir convenablement ce public exigent, il faut trouver de l’argent. La compromission avec le privé est alors patente, et vécue toujours comme non « politique »
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pour divertir convenablement ce public exigent, il faut trouver de l’argent. La compromission avec le privé est alors patente, et vécue toujours comme non « politique » (...)
Ce mode d’organisation ultra-capitaliste n’est jamais interrogé politiquement, et apparaît comme le fondement de leur apolitisme, avec pour principale conséquence que la loi qui prime le plus souvent est celle de l’argent. (...)
Dans beaucoup d’écoles, et notamment à l’ENS, on peut entendre des expressions comme « choper du propre » (coucher avec du « propre », c’est coucher avec quelqu’un-e qui appartient à une « grande école », comme « nous »). Certain-e-s élèves intériorisent la « fierté normalienne » et autres abominations élitistes encouragées (sinon dictées) par l’administration.
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La résistance devient presque impossible dans la mesure où le groupe contrôle une grande partie de la vie des individu-e-s, et de la vie de l’école. Cela va immanquablement vers une acceptation des dominations, une moindre résistance à leur exercice - qui va de pair avec l’illusion d’être dans un espace de non droit - et une droitisation massive... A l’ENS, l’ensemble de ces pratiques crée l’illusion d’un « nous » qui a des effets bien réels, comme l’identification d’une partie des élèves à l’école - que révèlent certaines réactions à l’article paru sur Rue 89, de normalien-ne-s offensé-e-s par la critique adressée à « leur » ENS chérie. (...)
Ce « nous » collectif s’oppose bien évidemment aux « autres », qui sont à l’extérieur comme à l’intérieur. Parmi les « autres » de l’extérieur, on trouve les autres lointains : les étudiant-e-s des facs, stigmatisé-e-s en permanence par le « discours normalien » - ou pire encore, les personnes qui ne font pas ou n’ont pas fait d’études. Un racisme de classe décomplexé est de mise lorsqu’on discute, dans la cour ou dans les couloirs, de telle « carrière prometteuse » … (...)
On relève une absence flagrante des idéaux démocratiques, même à l’état le plus consensuel : la hiérarchie et la présence de chef-fe-s est absolument revendiquée. (...)
Ne pas adhérer à cette forme de sociabilité que beaucoup d’hommes normaliens blancs et hétérosexuels qualifient de « potache » ou de « bon esprit » revient à remettre en cause les fondements du groupe, et conduit à l’exclusion ou à l’auto-exclusion. (...)
L’existence depuis décembre 2010 d’un Collectif féministe et les agressions répétées qui le visent depuis sa création ont permis de confirmer l’omniprésence et l’omnipotence du groupe majoritaire comme le traitement réservé à celleux qui ont le courage de dénoncer les violences qui en émanent. (...)
Le week-end d’intégration joue à ce titre un rôle très particulier : désigné comme le moment où le groupe se forme, il est synonyme de déferlements de violences en tout genre pour s’unir derrière un même rejet de tout ce qui ne s’apparente pas au groupe, mais aussi de moments d’humiliation, qui apprennent dès le départ à respecter la hiérarchie. Toutes les activités proposées reposent sur cette double composante, et se reproduisent d’année en année.
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L’injonction à boire, à faire la fête, à rentrer dans le jeu sexuel est permanente. Les personnes qui s’y opposent sont de fait exclues du groupe (...)
Une énorme stigmatisation touche toute forme d’engagement politique, si bien que certaines personnes en viennent soit à mentir sur leurs appartenances politiques ou à cacher leurs engagements politiques, soit à rentrer dans le jeu de la stigmatisation des groupes politisés. (...)
La méfiance et l’agressivité vis à vis des groupes politisés permettent et légitiment l’expression d’un racisme et d’un mépris de classe très présents à l’école, et visant notamment les ouvrier-e-s qui y travaillent ou les personnel-le-s de cantine et de ménage, dont beaucoup sont racisé-e-s.
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