
L’Union européenne, Prix Nobel de la paix ? Mais quelle mouche a bien pu piquer le Comité norvégien ?
Certes, en 1951, la réconciliation franco-allemande, scellée au sein de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), marquait une ferme volonté de tourner (définitivement ?) la page des conflits sur le Vieux Continent. « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre », affirmait gravement le ministre des affaires étrangères français Robert Schuman, en annonçant la création de la CECA, dans sa célèbre déclaration du 9 mai 1950. Cette histoire est d’ailleurs aujourd’hui enseignée dans les écoles, un peu sur le ton des récits mythologiques consacrés aux origines d’un groupe humain ou d’un pays.
Cependant, soixante ans après ces moments solennels et émouvants, ne peut-on prendre un peu de recul ? En premier lieu, les chercheurs et les observateurs un peu rigoureux de l’histoire de l’après-guerre ne sont pas sans avoir remarqué que la construction européenne est née dans le cadre de la guerre froide, sous parapluie américain et avec le soutien militant de Washington, qui a pesé de tout son poids aux moments-clés. (...)
En second lieu, il paraît un peu curieux que l’Union se voie attribuer le prix Nobel de la paix au moment où les politiques d’austérité imposées aux peuples jettent dans la rue les populations paupérisées et provoquent des manifestations de colère comme de désespoir. La « discipline » de la zone, qui ne semble séduire que les classes dirigeantes hors de portée de ses conséquences, entre en vigueur par des mécanismes autoritaires qui font souvent fi du suffrage universel. (...)
En outre, une lecture attentive du traité de Lisbonne risque de provoquer un choc émotionnel chez les pacifistes. En effet, l’article 42-6 énonce : « Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires », et institue une « coopération structurée permanente (CSP) [qui] doit permettre en particulier de renforcer les capacités et les moyens militaires à disposition de l’Union européenne et de ses opérations ».
Détail croustillant, le jury du prix Nobel est présidé par le Norvégien Thorbjørn Jagland, dont le pays n’est pas membre de l’Union européenne, le peuple norvégien ayant refusé par deux fois, lors de référendums tenus en 1973 et 1994, d’entrer dans le Marché commun. (...)
Mais le jury du prix Nobel n’en est pas à son premier trait d’humour, puisqu’il n’avait pas hésité à distinguer, en 1973, l’ex-secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger – peu regardant sur les dictatures d’Amérique latine – pour avoir mis fin à la guerre du Vietnam