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le Monde
« Veiller sur mes parents », le service que généralise La Poste, inquiète les facteurs
Article mis en ligne le 25 mai 2017

Depuis lundi, La Poste commercialise dans toute la France un service à destination des personnes âgées. Il sera assuré par les facteurs dans le cadre de leurs tournées.

Quatre fois par semaine, Christine rend visite à Auguste, 94 ans. Elle prend de ses nouvelles, s’enquiert de ses besoins, s’assure qu’il va bien. Après une dizaine de minutes et un formulaire rempli, elle repart dans sa voiture jaune. Christine est factrice depuis treize ans. Depuis deux mois, cette quinquagénaire d’Eure-et-Loir assure le nouveau service à destination des personnes âgées assuré par La Poste, Veiller sur mes parents (VSMP). Disponible dans l’ensemble du pays depuis le 22 mai, il est proposé depuis quelques mois dans certaines régions pilotes, comme les Pays de la Loire.

C’est Mireille, la fille d’Auguste, qui a souscrit ce service. (...)

Formation et habilitation

« VSMP fait partie des missions des facteurs et rentre dans le cadre de leur tournée », explique Eric Baudrillard, directeur des services aux particuliers de La Poste. Après une première formation d’environ trois heures et une « habilitation », les postiers peuvent rendre visite à des personnes âgées pour « s’assurer qu’elles vont bien ». Moyennant 39,90 euros à 139,90 euros par mois, ils se déplacent une à six fois par semaine au domicile de la personne âgée. Et, en cas d’urgence, elle bénéficie d’un service de téléassistance, assuré par un sous-traitant, disponible à toute heure du jour et de la nuit.

Veiller sur mes parents fait partie de la stratégie de diversification de La Poste pour faire face à la baisse de l’activité d’acheminement du courrier. Ce service est un prolongement de Cohésio, prestation en place depuis 2014 qui propose des visites chez les personnes âgées. Alors que Cohésio était commandé par des collectivités, ce sont les particuliers qui souscrivent à VSMP. (...)

« Nous ne sommes pas infirmiers »

Du côté des syndicats, l’analyse est différente. Certains s’interrogent sur la nature du service proposé. « On marchandise quelque chose qu’on faisait gratuitement. Or tout le monde ne pourra pas le payer », déplore Pascal Frémont, facteur en Loire-Atlantique et délégué syndical SUD-PTT.

Les syndicats s’inquiètent également du fait que ce nouveau service, obligatoire pour les facteurs, ne donne pas lieu à une rétribution supplémentaire et que leur tournée ne soit pas aménagée de façon à laisser plus de temps. Sur ce point, Eric Baudrillard rappelle que La Poste a promis d’embaucher environ 3 000 facteurs d’ici à la fin de l’année.

« Nous ne sommes pas infirmiers. Que se passe-t-il si on dit que la personne va bien et que ce n’est pas le cas ? » (...)

Du côté de La Poste, on assure que les facteurs ne sont pas là pour « effectuer un diagnostic médical, mais simplement pour retranscrire un besoin exprimé par la personne ». La formation de plusieurs heures est prévue pour leur permettre d’estimer ces besoins.

« S’il tient debout, tu dis qu’il va bien »

Pourtant, certains assurent ne pas avoir été formés. C’est le cas de Nicolas (le prénom a été modifié), 36 ans, à La Poste depuis quinze ans. Il a dû rendre visite pour la première fois, à la fin de 2016, à une personne âgée dans le cadre de Cohésio (pour lequel les facteurs étaient aussi censés suivre une formation). Il se rappelle la situation dans laquelle il s’est retrouvé : plutôt « mal à l’aise », il a rempli le formulaire avec le client, mais dans la partie qui lui était réservée, quand il a fallu mentionner si la personne allait bien, il n’a pas inscrit de réponse. « Je ne suis pas médecin, comment savoir ? Du coup, j’ai été convoqué et j’ai écopé d’un blâme », témoigne-t-il. Quand il s’en est plaint à sa cheffe, elle lui a rétorqué : « S’il tient debout, tu dis qu’il va bien. »

Consterné, le facteur soupire. « Ils sont prêts à tout pour faire du chiffre, pour Veiller sur mes parents, c’est pareil, c’est la nouvelle logique. » (...)