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Valérie Rey-Robert : « Le problème, c’est la manière dont les hommes deviennent des hommes »
Article mis en ligne le 26 avril 2020
dernière modification le 25 avril 2020

Ainsi, le fémi­nisme serait à la mode, au point d’être deve­nu « cool » ? Ce serait là le signe, nous dit Valérie Rey-Robert, mili­tante et essayiste à qui l’on doit deux ouvrages parus aux édi­tions Libertalia, qu’il aurait per­du sa radi­ca­li­té. Et c’est pré­ci­sé­ment de radi­ca­li­té dont il est ques­tion dans sa der­nière publi­ca­tion, Le Sexisme, une affaire d’hommes, puisque Rey-Robert entend remon­ter à la source : com­ment se per­pé­tue cette « guerre » menée contre les femmes au nom d’un sys­tème idéo­lo­gique struc­tu­ré, arti­cu­lé, connu sous le nom de « patriar­cat » ? Tandis que le confi­ne­ment se double d’une aug­men­ta­tion des vio­lences domes­tiques, nous reve­nons avec elle sur la réflexion qu’elle porte, comme blo­gueuse ini­tia­le­ment, depuis près de 15 ans.

La situa­tion actuelle est par­ti­cu­lière. Violences intra-conju­gales favo­ri­sées par le confi­ne­ment, déclas­se­ment des avor­te­ments au rang d’in­ter­ven­tions « non-urgentes » dans cer­tains hôpi­taux ou États, aug­men­ta­tion du tra­vail domes­tique… Est-ce à dire que les situa­tions de crise exa­cerbent la vio­lence patriar­cale ?

Un article au titre évo­ca­teur, « Le Coronavirus est un désastre pour le fémi­nisme », a paru récem­ment. Les femmes, à cause des struc­tures patriar­cales qui font entre autres qu’elles sont moins payées et plus sou­vent à temps par­tiel, sont en temps d’épidémie encore davan­tage en charge des malades, des per­sonnes âgées et des enfants qui ne vont plus à l’école — et ce sans être rému­né­rées. La majeure par­tie des familles mono­pa­ren­tales ont à leur tête des femmes, très sou­vent pré­caires, que la fer­me­ture des écoles et des crèches met en grande dif­fi­cul­té. Un autre article a d’ailleurs mon­tré que de nom­breuses mères, qui s’étaient arrê­tées de tra­vailler pour gar­der leurs enfants, n’avaient fina­le­ment pas eu de main­tien de salaire, contrai­re­ment aux pro­messes gou­ver­ne­men­tales. (...)

On sait éga­le­ment que les vio­lences patriar­cales ont aug­men­té : le secré­taire géné­ral de l’ONU a appe­lé les gou­ver­ne­ments à réagir face à ces faits. Le col­lec­tif NousToutes, qui a lan­cé une ini­tia­tive « Parentalité et confi­ne­ment », a éga­le­ment sou­li­gné que la majo­ri­té des per­sonnes pré­sentes dans leurs groupes WhatsApp était des femmes. Donc, effec­ti­ve­ment, le confi­ne­ment ne règle pas les pro­blèmes d’inégalités domes­tiques et éco­no­miques dans le couple hété­ro­sexuel — il les accen­tue plu­tôt, à tous les niveaux. On aurait été naïfs de croire l’inverse (...)

Pourtant, plus encore que la pan­dé­mie, l’augmentation de ces vio­lences en temps de crise étaient hau­te­ment pré­vi­sible. Quelques mesures ont tout de même été prises : en Seine-Saint-Denis, par exemple, des hôtels ont été réqui­si­tion­nés pour éloi­gner et héber­ger les maris vio­lents. On se demande pour­quoi cette ini­tia­tive n’est pas géné­ra­li­sée sur tout le ter­ri­toire et pour­quoi elle a été créée uni­que­ment pen­dant le confi­ne­ment. (...)

En tant que « culture », la culture du viol est for­cé­ment liée à un lieu par­ti­cu­lier, de sorte qu’il y a une culture du viol à l’américaine, à l’italienne… Et donc une culture du viol à la fran­çaise, avec cha­cune leurs spé­ci­fi­ci­tés. En France, les acti­vistes qui dénoncent des vio­lences sexuelles se voient sys­té­ma­ti­que­ment expli­quer qu’elles se trompent, qu’il ne s’agit pas de vio­lences sexuelles mais qu’il s’a­git d’une manière typi­que­ment fran­çaise d’envisager les rela­tions entre hommes et femmes — laquelle serait intrin­sè­que­ment inéga­li­taire et vio­lente. On l’a par­ti­cu­liè­re­ment obser­vé en 2011 quand les défen­seurs de Dominique Strauss-Kahn ont décla­ré qu’avec son pro­cès, c’était « l’amour cour­tois » et donc le patri­moine fran­çais que les Américains — qui n’y connais­saient rien ! — atta­quaient. (...)

Les vio­leurs de tous les pays trouvent leurs défen­seurs mais c’est seule­ment en France qu’ils le font en convo­quant une idée fan­tas­mée de l’identité natio­nale. (...)

le pro­blème prin­ci­pal contre lequel il faut lut­ter, c’est le patriar­cat, et les repré­sen­ta­tions ne sont que l’un de ses ava­tars. Mais il y a beau­coup à faire du côté des repré­sen­ta­tions. (...)

Les lois elles-mêmes sont repré­sen­ta­tives de ce qu’on ima­gine du viol, et on voit bien qu’il y a un pro­blème lorsque l’application de la loi sur le viol conti­nue de consi­dé­rer que s’il n’y a pas eu de contrainte phy­sique, alors cela veut dire que la vic­time était consen­tante. Même les manières de lut­ter contre les vio­lences sexistes et sexuelles en sont impré­gnées, puisque l’une des seules solu­tions envi­sa­gées est la pri­son, c’est-à-dire une puni­tion empreinte de vio­lence. (...)

Si #MeeToo a révé­lé quelque chose — ce dont on pour­rait dis­cu­ter —, c’est que de nom­breuses femmes avaient vécu des vio­lences sexuelles, vio­lences dont on vou­drait bien qu’elles cessent, même si elles ne sont pas répri­mées par la loi. (...)

Actuellement, der­rière les per­sonnes incar­cé­rées pour vio­lences volon­taires, les délin­quants sexuels sont le deuxième plus gros contin­gent de déte­nus. Force est de consta­ter que leur pré­sence en pri­son ne dis­suade pas ceux qui, bien plus nom­breux, sont en liber­té, de vio­ler ou d’agresser sexuel­le­ment. Le livre récent de Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes : femmes contre la pri­son, le montre bien : mettre les vio­leurs en pri­son n’éradiquera pas le viol. Au contraire même, puisque cela revient à ajou­ter de la viri­li­té à la viri­li­té — l’emprisonnement étant la puni­tion virile par excel­lence. Or on sait que le pro­blème prin­ci­pal du patriar­cat, c’est jus­te­ment la manière dont les hommes deviennent des hommes. C’est sur cela qu’il faut tra­vailler. (...)

Actuellement, der­rière les per­sonnes incar­cé­rées pour vio­lences volon­taires, les délin­quants sexuels sont le deuxième plus gros contin­gent de déte­nus. Force est de consta­ter que leur pré­sence en pri­son ne dis­suade pas ceux qui, bien plus nom­breux, sont en liber­té, de vio­ler ou d’agresser sexuel­le­ment. Le livre récent de Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes : femmes contre la pri­son, le montre bien : mettre les vio­leurs en pri­son n’éradiquera pas le viol. Au contraire même, puisque cela revient à ajou­ter de la viri­li­té à la viri­li­té — l’emprisonnement étant la puni­tion virile par excel­lence. Or on sait que le pro­blème prin­ci­pal du patriar­cat, c’est jus­te­ment la manière dont les hommes deviennent des hommes. C’est sur cela qu’il faut tra­vailler. (...)

C’est là tout l’en­jeu de votre der­nier livre, Le Sexisme, une affaire d’hommes. Comment empêche-t-on ça, alors ?

Il faut dégen­rer l’éducation. Il faut apprendre à consi­dé­rer que seules les aspi­ra­tions des enfants comptent et qu’il n’y a pas de jeu, de loi­sir, de sport, d’activité, de métier pro­pre­ment « mas­cu­lin » ou « fémi­nin ». En somme, il faut édu­quer les gar­çons à ne pas être virils. La viri­li­té se consti­tue de plu­sieurs élé­ments, comme le fait de n’exprimer aucune émo­tion à l’ex­cep­tion de la dure­té et de l’agressivité, d’être en com­pé­ti­tion per­ma­nente avec les autres hommes, de tou­jours cher­cher et vou­loir des rela­tions sexuelles avec des femmes, d’éviter tout ce qui est consi­dé­ré comme « fémi­nin » afin qu’il n’y ait aucune confu­sion quant à sa mas­cu­li­ni­té et, enfin, de refu­ser l’homosexualité. Les jeunes gar­çons apprennent très rapi­de­ment à mépri­ser les femmes, à consi­dé­rer qu’ils valent mieux qu’elles. (...)

Le fémi­nisme ne doit donc pas être un vain mot. Il doit être inclu­sif. S’intéresse-t-il aux droits de toutes les femmes ? En oublie-t-il sur le car­reau ? A‑t-il pris en compte qu’en com­bat­tant telle dis­cri­mi­na­tion, il efface telles reven­di­ca­tions d’autres femmes ? Nous devons sans cesse inter­ro­ger notre fémi­nisme, le ques­tion­ner. Je par­lais pré­cé­dem­ment des vio­lences gyné­co­lo­giques et obs­té­tri­cales, qui sont un com­bat fémi­niste récent : ce com­bat ne peut être mené sans tenir compte des dis­cri­mi­na­tions croi­sées — si on est une femme trans, une femme grosse, une femme raci­sée, une les­bienne, alors on est encore plus sus­cep­tible d’être vic­time de dis­cri­mi­na­tions par le corps médi­cal. Le dire, contrai­re­ment à ce qu’affirment cer­tains fémi­nistes dites « uni­ver­sa­listes », n’efface en rien le sexisme vécu ; cela aide à mieux cibler les com­bats.