
Maires ou présidents de conseils départementaux dans des territoires durement touchés par l’épidémie, quatre élus analysent l’échec de la stratégie vaccinale du gouvernement. L’État doit décentraliser pour accélérer, demandent-ils. Ils espèrent avoir été entendus par Emmanuel Macron qui a promis une accélération des procédures.
Depuis leur bureau de maire ou de président de conseil départemental, ils observent, un peu désabusés, les débuts laborieux de la campagne de vaccination. En Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel a pourtant eu le privilège d’en accueillir l’inauguration : le 27 décembre dernier, c’est au sein de l’unité de soins de longue durée de l’hôpital René-Muret de Sevran qu’ont été inoculés les premiers vaccins.
Dix jours après, où en est la vaccination dans un des départements de France où l’épidémie a frappé le plus fort ? « Je n’en sais pas grand-chose, avoue l’élu socialiste. On n’a aucun chiffre précis. On a fait un symbole avec Mauricette et quelques autres le premier jour, mais après… Je sais qu’il devait y avoir deux Ehpad concernés, à Saint-Ouen et à Bobigny, mais je n’en ai eu aucune nouvelle. Force est de constater que le compte n’y est pas. »
Dans l’est de la France, les élus locaux pourraient lui rétorquer qu’il est déjà chanceux d’avoir quelques heureux vaccinés à recenser. (...)
De gauche comme de droite, les élus enragent contre la stratégie gouvernementale. Parfois pour des raisons différentes. Dans l’Est, on peine par exemple à comprendre d’être servis en dernier. Dans le Territoire de Belfort, le taux d’occupation des lits en réanimation dépasse les 90 % et le couvre-feu a été avancé à 18 heures, comme dans quatorze autres départements. Pourtant, de vaccin, il n’y a toujours pas : « Si on est classés rouge, pourquoi ne pas nous prioriser ?, interroge Florian Bouquet. Ça, ça serait une stratégie cohérente : servir en premier les habitants des territoires où le virus circule ardemment, pour protéger tout le pays. » (...)
Critiques sur le fond, les élus locaux se font impitoyables sur la forme à l’égard d’un exécutif national qu’ils peinent à considérer comme un partenaire. « On est face à un gouvernement qui ne fait pas confiance aux territoires, qui ne les écoute pas suffisamment », déplore Valérie Beausert-Leick, présidente (PS) du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle.
Constat cruel pour une équipe ministérielle dont le chef, Jean Castex, a été nommé début juillet 2020 fort de sa casquette de maire de province, chargé de reconnecter le national et le local. (...)
Six mois plus tard, les élus des fameux territoires constatent que les actes n’ont pas suivi les mots. (...)
À Belfort, Florian Bouquet s’emporte contre un exécutif qui « nous enfume », cache une pénurie de vaccins comme il avait caché la pénurie de masques. Il n’a pas oublié ce jour où, sur le tarmac de l’aéroport de Bâle, la préfète du Grand-Est avait réquisitionné les masques que lui et ses départements voisins avaient commandés. « On s’est fait dépouiller par l’État », résume-t-il.
Alors, face à ce qu’il estime être de « l’amateurisme », de « l’incompétence » et de la « gestion à la petite semaine », l’élu LR veut prendre le taureau par les cornes. Lundi, il a de nouveau proposé à l’État son aide pour accélérer la vaccination. « J’ai des installations disponibles : des bâtiments, des salles, des gymnases, énumère-t-il. J’ai des médecins, des infirmières, le médecin-colonel des pompiers… Tout ça, je suis prêt à le mettre gratuitement à la disposition de l’État. »
Même discours chez le socialiste Stéphane Troussel (...)
Pour l’instant, ni Florian Bouquet ni Stéphane Troussel n’ont eu ce fameux feu vert. « Je n’ai ni son, ni image de la préfecture ou de l’ARS [agence régionale de santé – ndlr] », dit le premier. « Ils ne disent ni oui ni non », souffle le second. Mardi soir, à huis clos face à des élus locaux d’Indre-et-Loire, Emmanuel Macron a semblé esquisser un pas en ce sens. Selon des participants cités par l’AFP, le chef de l’État a annoncé sa volonté d’installer cinq ou six centres par département dans le courant du mois, d’accélérer la vaccination et de s’appuyer sur les collectivités. (...)
Le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, lance un appel en forme d’exhortation : « Partageons-nous la tâche, elle est si colossale ! » En écho à l’élu de Seine-Saint-Denis, il assure : « L’État n’est absolument pas armé pour organiser rapidement une vaccination de grande ampleur sur le terrain. On aimerait qu’il soit stratège et nous trouve les doses nécessaires. En revanche, pour vacciner, on saurait faire – et même plus vite ! »
Dans le Grand Est, région frappée de plein fouet depuis dix mois, Valérie Beausert-Leick a constaté les limites de l’ARS. (...)
À défaut d’être entendue, son homologue de Meurthe-et-Moselle a décidé de « [se] retrousser les manches ». Ce mercredi matin, elle convoque une conférence de presse avec Mathieu Klein, le maire de Nancy. Les deux élus comptent y faire une annonce : ils n’attendront pas l’arrivée des vaccins, prévue le 12 janvier prochain. Le territoire va profiter des doses du centre hospitalier de Nancy pour vacciner dans le département, au-delà de la métropole. Valérie Bausert-Leick glisse, comme une évidence : « Au final, nous reprenons la main. »