
Dans cet entretien vidéo exceptionnel, l’économiste Thomas Piketty décrit la situation profondément inégalitaire qui mine les sociétés aujourd’hui. Si l’inégalité ne décroît pas rapidement, avertit-il, il se produira des « crises extrêmement violentes ».
Thomas Piketty est un des économistes qui ont rendu visible l’abyssale inégalité qui caractérise les sociétés contemporaines. Auteur de Capital et idéologie (Seuil, 2019), mais aussi du rapport Carbon and inequality (2015), il décrit dans cet entretien les perspectives de chaos si rien ne change, les moyens de réduire l’inégalité, le lien entre changement climatique et inégalités, et enjoint aux écologistes de faire des choix clairs. (...)
« Aujourd’hui, un discours de sacralisation de la propriété dit que si on remet en cause les droits de propriété issus du passé, cela conduira au chaos. » Une théorie fausse : « Au XXe siècle, on a connu des barêmes d’imposition extrêmement progressifs, qui ont eu beaucoup de succès avec une réduction forte des inégalités. »
Mais ce changement n’a-t-il pas été induit par le cataclysme de la guerre de 14-18 et ce qui s’en suivi ? « Un cataclysme qui est lui-même la conséquence des très fortes inégalités de l’époque » (10’30’’). Mais dans la deuxième partie du XXe siècle, les inégalités ont recommencé à croître, notamment du fait des « insuffisances du modèle social-démocrate, qui a conduit à la période libérale et à la progression des inégalités » (...)
il n’y a pas de rivalité internationale poussant à la guerre. Mais, particulièrement en Europe, « on a un divorce, un clivage social face à la question de la mondialisation, qui menace de tout faire exploser » (17’35’). « Soit il y aura une explosion de cette construction européenne, soit la prise par la force de nationalistes avec un potentiel de violence. (...)
Pourtant, il y a des solutions. Mais comment les appliquer alors que les riches se raidissent ? (...)
Il va y avoir des crises qui peuvent prendre des formes que je suis incapable de prévoir, mais qui peuvent être des crises sociales extrêmement violentes, avec des violences urbaines qui peuvent prendre une ampleur bien supérieure à ce qu’on a pu voir récemment, des crises financières. Historiquement, dans certains pays, notamment aux États-Unis, ce qui fait la différence, c’est la crise des années 1930, qui a provoqué un traumatisme et qui a permis la mise en place de politiques totalement impensables quelques années auparavant. » (...)
Mais « dans tous les cas, ça ne dispense de réfléchir à comment organiser les choses ensuite ». Et Piketty invite à réfléchir à « une nouvelle forme de socialisme » (...)
Quid du changement climatique ? « J’ai peur que si l’on attend de constater les conséquences du changement climatique, ce soit trop tard. La crise inégalitaire, on peut s’en saisir dès maintenant » (32’20’’). De toute façon, « on ne résoudra pas la crise climatique si on ne réduit pas les inégalités économique ». (...)
Piketty critique ensuite les ambiguïtés des écologistes politiques. « En Marche a été le réceptacle d’élus socialistes et d’élus écologistes. On observe la même ambiguïté [à l’égard des néo-libéraux] en Allemagne avec les Grünen. La question de fond est : qu’est-ce qui est le plus important pour résoudre la crise climatique ? La réponse : remettre en cause la circulation des capitaux. Les écologistes doivent réfléchir à une alliance avec La France insoumise, ou, en Allemagne, avec Die Linke. » Mais ces partis de gauche doivent quant à eux réfléchir davantage à la coopération internationale qu’ils veulent, notamment à propos de l’Europe.