
François Hollande a félicité Alexis Tsipras pour la victoire de Syriza aux élections législatives et l’a invité à faire un petit détour par Paris avant le prochain Sommet européen. Et le nouveau premier ministre grec vient d’accepter l’invitation. Que pourra bien lui dire son nouvel ami ? Notre président qui, à peine élu, a su se libérer sans trop de scrupules de ses promesses de campagne, lui dira-t-il qu’il est libre de ne pas tenir des engagements consentis par d’autres sous la contrainte ? Après l’annonce du gel de la vente du port du Pirée à des investisseurs chinois, lui conseillera-t-il de mettre définitivement un terme à la vague de privatisations qui a touché la Grèce depuis 2010 ? Lui rappellera-t-il que les multiples plans d’aide et de restructuration de la dette grecque ont rapporté des dizaines de milliards d’euros, sous forme d’intérêts, aux établissements financiers ? Ou bien, profitant de la proximité idéologique de Syriza avec le PS (1), essaiera-t-il de le persuader qu’il n’y a pas d’autre alternative que le social-libéralisme en lui suggérant de prendre exemple sur la France qui retrouve sur les bancs de l’Assemblée nationale une forme d’ « union sacrée », rassemblant l’UMP et le PS, autour de la libre-entreprise ?
Avec le projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » déposé par Emmanuel Macron, nos deux principaux partis politiques ( pour l’instant) scellent à leur manière le pacte d’unité nationale appelé par les français, selon tous les grands médias, lors de la manifestation du 11 janvier dernier. En France, la liberté se décline désormais sous le mode économique : libérer la production, libérer le travail, libérer les entreprises de toutes les contraintes qui les restreignent, les freinent, les brident. L’intérêt économique passe au-dessus de tout et même si l’amendement scélérat du député Jean-Jacques Urvoas visant à pénaliser toute divulgation de secrets susceptibles de porter atteinte aux intérêts économiques d’une firme est finalement retiré, le ton est donné : c’est bien le « laissez faire, laissez passer », au mépris de la protection des travailleurs, des consommateurs, et de notre environnement, qui tient lieu de doctrine à nos dirigeants socialistes. La possibilité qui sera offerte au gouvernement - si la loi est votée en l’état -de modifier par ordonnance, c’est-à-dire à sa convenance, le Code de l’environnement, afin de faciliter et d’accélérer les procédures préalables au démarrage de projets de construction (2)- et nul doute qu’il se trouvera parmi eux de nouveaux grands projets inutiles - est véritablement emblématique de la dérive productiviste de nos décideurs en pleine période de préparation de la COP 21 sur les changements climatiques.
Avec la loi Macron, les français savent pour quel type de liberté ils sont descendus massivement dans la rue. Il n’est pas de plus grande liberté que celle qui consiste à entreprendre. Après la compassion, après le bain de foule chaleureux, François Hollande retourne avec détermination dans les eaux froides du libéralisme. L’union sacrée doit s’établir autour de la société de consommation et de ses calculs égoïstes censés stimuler l’économie et le bien-être général. Il faut réconcilier le travailleur et le consommateur, en faire la synthèse. Travailler le dimanche pour améliorer son salaire, faire du shopping pour dépenser l’argent gagné . . . comment imaginer que certains puissent ne pas y trouver quelque intérêt ?
La foule du 11 janvier était-elle stupidement moutonnière ? François Hollande en fait le pari, il n’a voulu y voir qu’un rassemblement de consommateurs stressés et apeurés, en quête de plus de sécurité. Les brebis réclamaient un berger et quelques chiens de garde afin de pouvoir brouter paisiblement.
Travaillez, produisez, consommez, et, pendant ce temps là, l’Etat vous protègera contre le parangon du risque, le risque terroriste : voilà le nouveau contrat social proposé par l’équipe gouvernementale. Vous serez libres, libres dans l’enclos d’un patronat tout-puissant.