
Près de 3 000 chercheurs internationaux sont cette semaine à Sciences Po Bordeaux pour l’assemblée générale du Consortium européen de recherche politique, qui se tient pour la première fois en France. Il est question de démocratie, des minorités, des religions… Mais aussi du vote des pauvres. Nonna Mayer, présidente de l’Association française de science politique, a présenté les premiers résultats d’une enquête, qu’elle a coordonnée, du Centre d’études européennes de Sciences Po Paris, en association avec les IEP de Grenoble et Bordeaux, sur les conséquences politiques de la crise. Interview.
Aqui ! : C’est une étude assez inédite. Vous avez enquêté pendant la présidentielle en France en 2012 à l’aide d’un indicateur rarement utilisé en science politique, "Epices", prenant en compte, au delà du seul revenu monétaire, les conditions de vie, la couverture santé, les soutiens mobilisables dans la famille… Comment la précarité influence-t-elle le vote ?
Nonna Mayer : A notre étonnement, les précaires représentent plus d’un tiers (36,4%), de notre échantillon*. La précarité favorise d’abord l’abstention : environ un quart s’est abstenu, à chaque tour. Mais, même les très précaires ne sont pas indifférents à la politique. Ainsi plus de 90% d’entre eux se situent sur l’échelle gauche-droite, sept sur dix ont une préférence partisane, sept sur dix ont voté. Et, pour cette population socialement isolée et/ou économiquement fragile inscrite sur les listes électorales, la gauche, à la veille du premier tour présidentiel, est encore perçue comme le recours. D’ailleurs, au premier tour, le score des candidats de l’extrême gauche à François Hollande, est supérieur chez les précaires de cinq points à la moyenne de l’échantillon, tandis que celui de la droite modérée (François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Nicolas Dupont-Aignan) y est inférieur de six points (...)
Dans notre enquête, ceux qui disent voter pour la présidente du FN sont plutôt des non précaires, qui possèdent leur logement, un statut et ont peur de le perdre. Chez les ouvriers, le vote Marine Le Pen en 2012 passe de 22% chez les précaires à 36% chez les non précaires, soit 13 points au dessus du niveau de vote lepéniste des précaires. En revanche, fait nouveau, à la dernière élection présidentielle, c’est l’inverse chez les employés, un monde essentiellement féminin. Jusque là, plus réticentes que les hommes à voter FN, elles ont franchi le pas, notamment dans le commerce et les services. Ces femmes particulièrement touchées par la crise et la précarité (chômage, travail à temps partiel subi…) ont été séduites par le discours social de Marine Le Pen sur les "invisibles", broyés par le système financier. C’est un vote de révolte. Il faudra voir s’il se confirme dans la durée. (...)