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Non Fiction
Une cartographie des lexiques de la haine
#extremeDroite #medias #haine #democratie
Article mis en ligne le 6 juin 2023

Construire un consensus démocratique exige de reconnaître les discriminations et d’assumer la valeur de l’égalité, contre tous les communautarismes.

Tant de choses ont été écrites sur l’extrême droite, son vocabulaire et ses thématiques, qu’il est difficile d’imaginer que l’on puisse réellement tirer profit d’un énième ouvrage sur le sujet. On aurait grandement tort, tant, dans Les mots de la haine, la richesse de l’information le dispute à la rigueur de l’analyse.

Ce qui fait son prix, c’est sans doute que, nonobstant le sous-titre (Glossaire des mots de l’extrême droite), la haine n’est aucunement circonscrite à cette famille politique. L’hégémonie culturelle et intellectuelle des droites dures s’exprime dans l’extension, au sein de l’espace public, de leurs thèmes et de leur vocabulaire. Il n’est pas rare en effet que celles et ceux qui s’approprient des concepts aussi douteux qu’« islamogauchisme » ou, dans certains usages, « islamophobie » (mot dont l’histoire et les enjeux ont été étudiés par Isabelle Kersimon dans un précédent livre) revendiquent, plus ou moins tactiquement, leur appartenance à la gauche.

Mais l’autrice ne se limite pas à la dénonciation : elle pose les bases de la reconstruction d’un sens commun démocratique, ainsi que l’indique, dans son excellente préface, le philosophe Jean-Yves Pranchère. L’élaboration critique de ce sens commun doit se faire sous l’égide de l’universel et, dès lors, se tenir éloignée de tout repli communautaire. Concrètement, on passe de la dénonciation de l’usage dévoyé des idées d’universalisme ou de laïcité (entre autres exemples) à leur nécessaire ancrage dans l’horizon cosmopolitique. Travail aussi exigeant que nécessaire, brillamment conduit à travers une cartographie inspirée dont nous retiendrons, largement en fonction de nos propres intérêts, trois points saillants : la réactivation des tropes de l’antisémitisme, la haine viriliste des femmes (nous utilisons ici les mots de Jean-Yves Pranchère) et la haine antimusulmane. Bien d’autres choix auraient conduit au même constat : l’inversion du réel obéit à une stratégie d’euphémisation des discriminations et, au-delà, à une contestation de la valeur de l’égalité. (...)

Tant de choses ont été écrites sur l’extrême droite, son vocabulaire et ses thématiques, qu’il est difficile d’imaginer que l’on puisse réellement tirer profit d’un énième ouvrage sur le sujet. On aurait grandement tort, tant, dans Les mots de la haine, la richesse de l’information le dispute à la rigueur de l’analyse.

Ce qui fait son prix, c’est sans doute que, nonobstant le sous-titre (Glossaire des mots de l’extrême droite), la haine n’est aucunement circonscrite à cette famille politique. L’hégémonie culturelle et intellectuelle des droites dures s’exprime dans l’extension, au sein de l’espace public, de leurs thèmes et de leur vocabulaire. Il n’est pas rare en effet que celles et ceux qui s’approprient des concepts aussi douteux qu’« islamogauchisme » ou, dans certains usages, « islamophobie » (mot dont l’histoire et les enjeux ont été étudiés par Isabelle Kersimon dans un précédent livre) revendiquent, plus ou moins tactiquement, leur appartenance à la gauche.

Mais l’autrice ne se limite pas à la dénonciation : elle pose les bases de la reconstruction d’un sens commun démocratique, ainsi que l’indique, dans son excellente préface, le philosophe Jean-Yves Pranchère. L’élaboration critique de ce sens commun doit se faire sous l’égide de l’universel et, dès lors, se tenir éloignée de tout repli communautaire. Concrètement, on passe de la dénonciation de l’usage dévoyé des idées d’universalisme ou de laïcité (entre autres exemples) à leur nécessaire ancrage dans l’horizon cosmopolitique. Travail aussi exigeant que nécessaire, brillamment conduit à travers une cartographie inspirée dont nous retiendrons, largement en fonction de nos propres intérêts, trois points saillants : la réactivation des tropes de l’antisémitisme, la haine viriliste des femmes (nous utilisons ici les mots de Jean-Yves Pranchère) et la haine antimusulmane. Bien d’autres choix auraient conduit au même constat : l’inversion du réel obéit à une stratégie d’euphémisation des discriminations et, au-delà, à une contestation de la valeur de l’égalité. (...)

Isabelle Kersimon le dit on ne peut plus clairement : « Invoquer un “nouvel antisémitisme” qui serait spécifiquement musulman pour définir les contours de l’antisémitisme à l’œuvre aujourd’hui est une aberration »
. La dénonciation de cette « aberration » lui doit d’ailleurs beaucoup, puisqu’elle fut à l’origine d’une tribune publiée par Le Monde (le 3 mai 2018) au titre explicite : « La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous ». Or cette tribune fit certes l’objet des attaques de l’extrême droite, mais aussi de celles des « néo-laïques », selon la dénomination de l’autrice, terme qui renvoie à l’idéologie du Printemps républicain et de quantité d’autres organisations unies par la volonté de transformer le principe juridique de laïcité en valeur identitaire, autrement dit de substituer l’exaltation de l’identité nationale à l’attachement aux principes universalisables de la devise républicaine. La référence incantatoire à la République comme moyen de dissimuler leur nationalisme incite à préférer parler de « nationaux-républicains », mouvance idéologique, fédérée autour de Jean-Pierre Chevènement, et qui exerce, plus que jamais, un puissant magistère.

Il n’est pas inutile de noter la forte propension du national-républicanisme à céder aux sirènes souverainistes et à réaliser ainsi l’union de tous ceux qui, comme Michel Onfray, n’ont de cesse de dénoncer les périls, la tyrannie des minorités (sic), ces dernières ayant le projet de détruire la France. Aussi trouve-t-on parmi les collaborateurs de Front populaire, au milieu de plumes ouvertement réactionnaires, des intellectuels venus de cette gauche identitaire, acharnée à dénoncer ceux qui céderaient à la gallophobie.

Or, les premiers visés, sur qui porte le soupçon de séparatisme, sont les musulmans. (...)

Isabelle Kersimon le dit on ne peut plus clairement : « Invoquer un “nouvel antisémitisme” qui serait spécifiquement musulman pour définir les contours de l’antisémitisme à l’œuvre aujourd’hui est une aberration »
. La dénonciation de cette « aberration » lui doit d’ailleurs beaucoup, puisqu’elle fut à l’origine d’une tribune publiée par Le Monde (le 3 mai 2018) au titre explicite : « La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous ». Or cette tribune fit certes l’objet des attaques de l’extrême droite, mais aussi de celles des « néo-laïques », selon la dénomination de l’autrice, terme qui renvoie à l’idéologie du Printemps républicain et de quantité d’autres organisations unies par la volonté de transformer le principe juridique de laïcité en valeur identitaire, autrement dit de substituer l’exaltation de l’identité nationale à l’attachement aux principes universalisables de la devise républicaine. La référence incantatoire à la République comme moyen de dissimuler leur nationalisme incite à préférer parler de « nationaux-républicains », mouvance idéologique, fédérée autour de Jean-Pierre Chevènement, et qui exerce, plus que jamais, un puissant magistère.

Il n’est pas inutile de noter la forte propension du national-républicanisme à céder aux sirènes souverainistes et à réaliser ainsi l’union de tous ceux qui, comme Michel Onfray, n’ont de cesse de dénoncer les périls, la tyrannie des minorités (sic), ces dernières ayant le projet de détruire la France. Aussi trouve-t-on parmi les collaborateurs de Front populaire, au milieu de plumes ouvertement réactionnaires, des intellectuels venus de cette gauche identitaire, acharnée à dénoncer ceux qui céderaient à la gallophobie.

Or, les premiers visés, sur qui porte le soupçon de séparatisme, sont les musulmans. (...)

Comme le souligne Claude Askolovitch, dans un article d’une rare profondeur (que cite l’autrice), le Manifeste, en exigeant de l’islam de France qu’il « ouvre la voie », « rend responsable chaque musulman de la violence de quelques-uns ». Dans la perspective esquissée plus haut, et qui est aussi celle d’Isabelle Kersimon, Claude Askolovitch n’hésite pas à affirmer que « la passion nationale pour une laïcité de combat n’est qu’un refus de notre part musulmane ». Et, ajoute-t-il, « on reproche d’abord aux musulmans d’être ici, d’ici. L’antisémitisme est un autre élément à charge de preuve : une bonne raison, progressiste, de détester celles et ceux, voilées, barbus, dont on ne veut pas »
. Laissons-lui les mots de conclusion, lesquels résument sobrement la juste analyse d’Isabelle Kersimon : « Il est, dans le Juif, pour celui qui le hait, une licence à quitter l’humanité. Ce n’est ni nouveau, ni singulièrement, ni essentiellement musulman ». (...)