
Le 8 janvier 2010, Lydienne Yen Eyoum, avocate au barreau de Douala (Cameroun), était interpellée chez elle par des dizaines de miliaires armés jusqu’aux dents, comme s’il s’était agi d’arrêter une dangereuse terroriste du réseau Al Qaeda.
Elle était placée en garde à vue pendant cinq jours puis à la prison de Konguendi de Yaoundé, au motif qu’elle se serait rendue coupable de détournement de fonds publics.
S’ouvrait alors une instruction faite en dépit du bon sens, à charge et uniquement à charge, menée par un magistrat sommé par avance de faire de Lydienne Yen Eyoum une coupable et de la maintenir en détention provisoire au-delà même des délais légaux en vigueur au Cameroun. (...)
Lydienne Yen Eyoum était jusqu’alors l’avocate de l’Etat camerounais et avait à ce titre recouvré des sommes colossales pour son client dans des dossiers opposant ce dernier à la filiale camerounaise de la Société générale.
Sous couvert de détournements de fonds publics, on lui reproche en réalité d’avoir perçu des honoraires pourtant convenus avec l’Etat, et d’avoir surtout tenté d’empêcher un arrangement véreux entre ce même Etat et son ex-adversaire, la banque (...)
Ceci s’inscrit dans le cadre de ce qu’on appelle au Cameroun l’opération Epervier, officiellement destinée à lutter contre la corruption qui mine le pays. Cette opération, menée depuis cinq ans sous l’égide du président Biya, a été exigée par les bailleurs de fonds internationaux en échange de leurs largesses. Pour recevoir l’argent du FMI et autres banques mondiales, il était en effet indispensable que le pays fasse bonne figure et se montre déterminé à éliminer les réseaux quasi-mafieux qui le pourrissaient
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Système parfait en apparence, en apparence seulement car au prétexte d’arrêter des escrocs, c’est bien plutôt les opposants au régime qui ont fait les frais de cet Epervier, et plus largement ceux qui gênaient d’une façon ou d’une autre le fonctionnement de ce qui reste encore et toujours, aujourd’hui, l’un des régimes les plus corrompus de l’Afrique. (...)
Elle vit surtout depuis deux ans dans une succursale de l’enfer, avec dix-sept codétenues dont certaines portent les fers aux pieds, dans une cellule de 12 m2 ; les femmes y sont entassées sans la moindre hygiène, sans eau courante, souffrent de malnutrition et se battent contre les rats et les cafards. Il est fréquent d’y voir des serpents, la chaleur est insoutenable… Les mesures disciplinaires prises contre les détenues « difficiles » consistent à leur raser le crâne. Oui, il s’agit bien de torture et de barbarie.
Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous apprîmes que le parquet français faisait appel de l’ordonnance ouvrant l’information… Quelle ne fut pas notre colère lorsque nous sûmes, le 17 janvier dernier, que la cour d’appel de Paris, à son tour, refusait au juge d’instruction la possibilité de poursuivre son information !
Il nous apparaît aujourd’hui très clairement que la France ne fait et ne fera rien pour débloquer cette situation dramatique. Ne nous reste plus qu’à espérer que la Cour de cassation, comme elle l’a fait au sujet de l’affaire dite des Français de Guantanamo, fasse enfin prospérer le droit… mais pas trop tard. (...)
Comment se peut-il que des magistrats, du parquet ou de la cour d’appel de Paris, disposant des moyens juridiques nécessaires (les articles 113-7 et 432-4 du code pénal ainsi qu’une batterie de conventions internationales) laissent mourir cette femme à petit feu dans son cachot de misère au milieu des rats ? Pourquoi le Quai d’Orsay, mainte fois alerté, n’intervient-il pas pour faire cesser cette horreur ?
Quels intérêts financiers ou économiques sont en jeu qui paralysent à ce point et avec tant de force le jeu normal de nos institutions et de notre droit ?
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