
Avec la prise de conscience de la dégradation de l’environnement, de nombreux garde-fous et dispositifs d’expertise des grands projets ont été mis en place. Mais leur efficacité reste faible, car l’État peut s’en affranchir en toute impunité, comme le démontre le plan de contournement routier de Strasbourg.
Connu sous le nom de « grand contournement ouest » (GCO) ou « contournement ouest de Strasbourg » (COS), le projet autoroutier de vingt-quatre kilomètres visant à délester la capitale alsacienne menace des terres agricoles limoneuses particulièrement fertiles et des écosystèmes forestiers ou naturels exceptionnels. Il impliquerait d’imperméabiliser 250 hectares de terres (1), ajoutés à 200 hectares d’emprise de travaux, dans une zone à la biodiversité riche.
« Agir pour le climat n’est pas une notion abstraite, insiste Alain Clappier, du laboratoire image ville environnement (LIVE), à l’université de Strasbourg. En plus de limiter nos émissions de carbone, cela implique de conserver les puits de carbone et les sources d’oxygène que sont les forêts et les zones humides, de maintenir les champs nourriciers locaux abritant une certaine biodiversité. Il faut donc aussi repenser nos modes de vie et de transport et cesser d’artificialiser les sols. »
Promis en concession au groupe Vinci, via sa filiale Arcos, ce projet d’autoroute à deux fois deux voies révolte scientifiques et citoyens, nombreux à redouter des dégâts irréparables. (...)
« Il s’agit du projet le plus destructeur qu’on ait jamais vu en Alsace », résume le directeur d’Alsace Nature, M. Stéphane Giraud. Une opinion partagée par M. Nicolas Hulot lui-même : il a reconnu — après sa démission du ministère de l’écologie, en août 2018 — que le GCO était une « bêtise écologique (3) ». Le projet dans son ensemble a suscité les critiques de l’Autorité environnementale, de l’Agence française pour la biodiversité, de la commission locale de l’eau, et plusieurs avis défavorables du Conseil national de la protection de la nature. Qu’importe : ainsi que l’avait « promis » M. Emmanuel Macron dès le 17 avril 2018, soit plus de deux mois avant les conclusions de l’enquête publique, le projet a été autorisé fin août par le préfet Jean-Luc Marx.
Un avis défavorable de la commission d’enquête publique est suffisamment rare dans des dossiers de cette envergure pour que l’on s’arrête sur les conclusions de celui rendu en juin 2018 (...)
Ce chantier hors norme se poursuit tambour battant, avec le soutien actif de l’État, alors que le tribunal administratif de Strasbourg et le Conseil d’État doivent encore se prononcer sur plusieurs procédures. Une plainte suit également son cours contre la décision de la Banque européenne d’investissement (BEI) de participer au financement du projet. Mais le droit à un recours effectif est mis en cause lorsque les jugements interviennent... après la réalisation des travaux.