
Après plusieurs semaines de frappes aériennes des Etats-Unis et de leurs alliés contre les positions de l’Etat islamique autoproclamé, un fort sentiment prévaut dans la région que la seule intervention aérienne ne résoudra pas la crise née de l’expansion du mouvement djihadiste.
« Essayons autre chose », suggère, dans cet entretien à Rue89, Cyril Roussel, géographe spécialiste de la construction territoriale en Irak et en Syrie.
Ce chercheur français est présent sur le terrain depuis 1997 et poursuit son travail, depuis quatre ans, à partir de l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), en Jordanie.
Rue89 : Revenons sur les origines de cet Etat islamique autoproclamé...
Cyril Roussel : Ce qui est important pour comprendre le fonctionnement de Daesh, c’est la manière dont il s’attache au contrôle d’un territoire. Et pourquoi le message qu’il délivre fait autant d’émules au Moyen-Orient comme en Occident. (...)
Pour aller vite et remettre les choses en perspective : les prémices de réseaux djihadistes de type Al Qaeda (dont Daesh est issu et dont il s’est ensuite séparé) sont apparues en Afghanistan dans les années 80 et plus tard en Irak avec l’intervention américaine en 2003.
En Irak, c’est donc surtout à partir de 2004, avec l’invasion américaine (sans l’accord des Nations unies), que ces groupes vont se développer (Ansar al-Islam ; Al Qaeda en Irak ; l’Armée islamique de Irak ; l’Etat islamique en Irak en 2006 qui deviendra l’EI en juin 2014).
Ils profitent de la cassure du système politique et de la destruction de la cohésion sociale, pour s’installer dans les villes de Falloujah et Ramadi qui vont, dès 2004, être les premières où se structure l’insurrection anti-américaine.
Ces villes vont devenir les fiefs de groupes comme Ansar al-Islam, et par la suite l’Etat islamique en Irak (EII), puis avec la constitution de sous-groupes en Syrie, il prendra le nom d’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Cela n’a donc surpris personne que Falloujah ait été la première ville irakienne prise par le Daesh en janvier 2014. (...)
Je pense qu’il faut qu’on arrête de mobiliser ce genre de grandes coalitions car on fait forcément le jeu de ceux qu’on voudrait affaiblir. En les bombardant, nous les implantons davantage.
Soutenir, conseiller les Irakiens, oui, mais alors sans négliger les sunnites et en évitant de les stigmatiser. C’est plus long, moins radical, mais c’est plus efficace sur le long terme. On devrait œuvrer vers le rejet de ces mouvements par les populations locales en privilégiant le dialogue avec les tribus sunnites et œuvrer pour le dialogue entre chiites et sunnites en Irak.
Quand il n’y a pas d’autre solution, quand le remède, c’est cet islam djihadiste, ça veut dire qu’on a raté plusieurs étapes. Dans ce cas, le mieux à faire c’est encore prendre du recul, regarder les erreurs qui ont été faites, mais ne pas les refaire encore une fois !
Ne pas envoyer d’hommes au sol, comme l’a dit Obama, c’est envoyer moins de cercueils aux Etats-Unis, et l’impact sur l’opinion publique américaine sera, certes, moindre.
Mais ici, ça va faire venir des adeptes qui vont s’organiser en guérilla urbaine, poser des bombes, mettre des snipers, tirer sur des avions de ligne… On entre dans un engrenage. Essayons autre chose.