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Un an après l’élection du Premier ministre Kyriákos Mitsotákis, le gouvernement a entamé un virage autoritaire et réactionnaire.
Article mis en ligne le 20 juillet 2020

Bain de foule, grand sourire et manches retroussées. Le 7 juillet 2019, Kyriákos Mitsotákis devenait Premier ministre de Grèce et sa formation politique, la Nouvelle Démocratie, reprenait le pouvoir à la gauche dite « radicale » de Syriza. Le parti néolibéral et conservateur remportait les élections avec 39% des suffrages exprimés et promettait « un retour à la normalité » après une décennie de crises économique, sociale et politique.

Un an plus tard, cette nouvelle normalité se teinte d’un voile autoritaire et réactionnaire. Douze mois jour pour jour après son accession au pouvoir, le gouvernement a fait voter une loi controversée au Parlement, visant à réglementer les manifestations.
La dictature dans les têtes

Dans un message envoyé à son aile la plus à droite et aux petit·es commerçant·es des centres-villes, électorat traditionnel de la Nouvelle Démocratie, le gouvernement entend « sécuriser » l’espace public. Cette loi prévoit notamment la désignation d’un organisateur de la manifestation, le rendant responsable de tout débordement éventuel, ainsi que des sanctions pénales pour les participant·es aux manifestations non déclarées. De quoi dissuader l’envie de protester dans la rue.

« Anticonstitutionnelle », selon un collectif d’avocat·es. « Anti-démocratique », selon l’ancien Premier ministre socialiste George Papandreou. « Cette loi rappelle un temps où la Grèce n’avait pas de régime parlementaire », tance Spyros Sakellaropoulos, professeur de sociologie politique à l’université Panteion d’Athènes. « Il y a une similitude très claire avec la période de la dictature [1967-1974] », s’inquiète-t-il.

Cette réforme s’inscrit dans un contexte de recrudescence des violences policières et d’atteintes répétées aux droits humains. À plusieurs reprises depuis l’élection du gouvernement Mitsotákis, Amnesty International a dénoncé « des violations systématiques des droits de l’Homme de la part de la police grecque » (...)

Le décès de Vassilis Maggos, lundi 13 juillet, tout juste un mois après avoir été roué de coups par la police lors d’une manifestation, a ravivé le spectre de l’impunité policière. Les images du jeune homme de 26 ans, interpellé et frappé à terre à de nombreuses reprises par des agents de police au cours d’un rassemblement mi-juin, sont abondamment diffusées sur les réseaux sociaux. (...)

« Sous le gouvernement Syriza, la police s’estimait bridée. Elle considère désormais qu’elle a les mains libres », résume le politologue Ilias Nikolakopoulos. Il évoque la « multiplication de réactions démesurées ces derniers temps » et pense que « nous allons entrer dans une période où la police va avoir plus de pouvoir ». Pour le professeur Sakellaropoulos, « ce tournant autoritaire se marie parfaitement avec la période du Covid-19. Les mesures de confinement instaurent un climat propice aux restrictions des libertés, au contrôle des déplacements, à l’instauration de nouvelles mesures ».

La politique migratoire du gouvernement lui donne raison. Alors que la Grèce a entamé son déconfinement post-Covid à partir du 4 mai, le confinement a été prolongé à cinq reprises pour les camps de réfugié·es, jusqu’au 19 juillet. Une mesure discriminatoire que fustigent les associations et organisations non gouvernementales. (...)

Réforme du droit d’asile en novembre, construction de nouveaux camps fermés sur les îles en février, expulsion des réfugié·es de leurs logements en juin… Le durcissement de la politique à l’encontre des personnes exilées est une constante depuis l’élection de la Nouvelle Démocratie. Soucieux de décourager l’arrivée des populations migrantes en Grèce, redevenue première porte d’entrée en Europe en 2019, et enhardi par les autorités européennes qualifiant la Grèce de « bouclier de l’Europe », le gouvernement de Kyriákos Mitsotákis n’hésite pas à user de la force à l’encontre de populations vulnérables. (...)

Plusieurs enquêtes réalisées par des organisations non gouvernementales et des médias internationaux font état de renvois systématiques des migrant·es –en pleine mer– par les autorités grecques. Ces « pushbacks » exercés au mépris du droit international ont été abondamment documentés, mais sont catégoriquement réfutés par le gouvernement. Dans une rhétorique en vogue au sein des démocraties chancelantes, ministres et porte-paroles balayent les accusations en qualifiant ces informations de « fake news ». Ces sorties s’inscrivent dans un rapport du gouvernement à l’information bien spécifique, dans un pays où les médias sont détenus par une poignée d’oligarques aux profondes ramifications politiques et économiques.

Accointances médiatiques (...)

La presse d’opposition, très faible, se trouve régulièrement attaquée par un gouvernement qui n’hésite pas à déséquilibrer le jeu médiatique en sa faveur et ainsi développer un réseau d’influence économique et politique.

Le Covid-19 lui en a donné l’occasion idoine. Dans le cadre d’une campagne de prévention au virus, le gouvernement a alloué 20 millions d’euros aux médias pour la diffusion de spots publicitaires. La répartition opaque et inexpliquée de ces fonds, dont les principaux bénéficiaires sont des groupes de presse puissants et proches du pouvoir, a suscité critiques et indignations. (...)

l’une des premières mesures du Premier ministre grec fut de nommer l’un de ses attachés de presse à la tête de la télévision publique ERT. (...)

Cette volonté s’étend au domaine de l’éducation. La suppression de l’asile universitaire fut l’une des premières mesures prises par le gouvernement Mitsotákis, derrière la doctrine « loi et ordre » promue par la Nouvelle Démocratie. La suppression des sciences sociales et des arts plastiques des épreuves du baccalauréat s’inscrit dans une dynamique restrictive, selon Filippa Chatzistavrou. « On forme des travailleurs capables de s’intégrer à un capitalisme agressif. On prépare un futur de l’innovation et de la technologie, mais pas du progrès des idées, du progrès social et de l’esprit critique », explique la chercheuse.

De quoi décrire la Grèce comme une démocratie illibérale ? Pour le politologue Ilias Nikolakopoulos, ce qualificatif « semble exagéré. Nous ne sommes pas au niveau de la Hongrie. Mais il y a clairement les signes d’un tournant autoritaire et réactionnaire ». (...)

Filippa Chatzistavrou réfute une expression qui « tend à minimiser la dégradation de la démocratie ». Elle lui préfère le concept de « democradura » pour décrire « un gouvernement autoritaire et ultralibéral ».

L’automne, où les conséquences d’une saison touristique désastreuse se feront sentir dans une économie extrêmement dépendante du secteur, promet un climat socio-économique tendu. « Une période pire que celle des memorandums », prédit Mme Chatzistavrou, où l’évolution des libertés individuelles et collectives sera particulièrement scrutée. (...)