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Tunisie : les acteurs de la vie politique et de la société civile unis contre la violence et pour la défense des libertés
Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste. Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)
Article mis en ligne le 1er février 2012

Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie) (Tunis, le 26 janvier 2012) La FLAHM

A l’appel des partis de l’opposition, des organisations non gouvernementales parmi lesquels la Ligue tunisienne des droits de l’homme et de toute la corporation des enseignants de la Faculté des Lettres et des Arts et des Humanités de la Manouba qui a rejoint vendredi après-midi l’initiative mais dont le nom n’apparaît pas sur la liste des participants pour des problèmes de coordination , des milliers de Tunisiennes et de Tunisiens ont participé aujourd’hui à « la marche de toutes les libertés » pour défendre la liberté d’expression, la liberté de pensée, la liberté de création, les libertés académiques et les droits de l’homme menacés par des groupes islamistes radicaux qui utilisent la violence pour imposer leurs idées.

Les enseignants de la Manouba ne se sont pas engagés dans la manifestation à titre individuel mais comme un groupe solidaire faisant partie d’une institution désireuse de faire avec les autres composantes de la société tunisienne un front commun contre le fanatisme et consciente qu’elle a été ciblée par ces groupes parce qu’elle a toujours été, aussi bien du temps de Bourguiba que Ben Ali le porte- drapeau de la résistance contre l’atteinte aux libertés, aux principes démocratiques et le symbole de l’attachement aux libertés académiques.

N’a-t-on pas souvent reproché aux chercheurs de notre faculté, spécialistes des études islamiques d’avoir transgressé tous les tabous et d’avoir nui par leurs nouvelles approches à l’Islam, alors qu’en s’écartant des lectures traditionnelles ou dogmatiques, ils ne faisaient que renouveler les recherches sur l’Islam, qu’enrichir la pensée islamique. Pourtant ces critiques acerbes souvent relayées par des menaces ne les ont jamais dissuadés de persévérer dans la même voie qui fait du respect des libertés académiques l’une des conditions importantes du développement de la recherche scientifique. Accusés d’hérésie, voués aux gémonies, ils sont depuis deux mois la cible d’une campagne de dénigrement savamment orchestrée par la page de Facebook Talaba-révolution, d’actes d’agressions verbales quotidiennes et de violences physiques moins nombreuses mais parfois violentes qui ont touché des fonctionnaires, des ouvriers et des étudiants, à l’image de celle qui a entraîné mon admission aux urgences de l’hôpital Kassab le 6 décembre dernier et celle subie par Slah Torkhani, fonctionnaire au service des publications le jour du démarrage des examens semestriels et qui lui a valu la pose de quatre points de suture au menton.

La veille, comme par hasard, Hamadi Redissi, juriste et, à l’instar de chercheurs de la FLAHM, auteur d’ouvrages sur l’Islam qui n’ont pas eu l’heur de plaire aux défenseurs de l’orthodoxie musulmane et aux fanatiques, a été sauvagement agressé par des extrémistes religieux, venus assister au tribunal de Tunis au procès de Nessma-TV dont le patron a été traduit en justice pour « atteinte au sacré » à la suite de la diffusion du long-métrage d’animation français Persépolis doublé dans le dialecte tunisien et où figure une scène au cours de laquelle le héros, un enfant qui implore Dieu, essaye de l’imaginer au moment où il lui adresse ses prières, ce qui est proscrit par l’Islam. Le même jour, Zied Krichen, rédacteur du journal indépendant Al Maghrib connu pour sa dénonciation de l’extrémisme religieux et pour son soutien à la FLAHM, est tabassé dans le but évident de terroriser les militants au service de la liberté de la presse.

Je pourrai multiplier à loisir les exemples prouvant la similitude de situation entre le vécu des enseignants de la FLAHM et celui des journalistes, des acteurs de la société civile et des avocats. Je n’en ai ajouterai qu’un seul. A la Manouba comme ailleurs, les auteurs des agressions sont restés impunis en dépit des plaintes déposées et de la présence de témoins ayant fait leur témoignage. La manifestation a été, par conséquent, l’occasion d’envoyer un signal fort à l’adresse du gouvernement pour qu’il traduise en justice les auteurs de toutes ces agressions.

La conscience de participer à un front commun a poussé la corporation des enseignants de la Manouba à se joindre à la marche comme l’un de ses organisateurs mais la spécificité de leur situation l’a amenée à se singulariser d’abord en marquant spatialement la distance avec le reste du cortège. Cette façon de se démarquer a permis aux enseignants de la Manouba de mettre en exergue leur groupe et leur large banderole blanche brandie à tour de rôle pendant les trois heures de la marche et sur laquelle on pouvait lire l’inscription en grands caractères rouges, visible de loin et qui a servi de point de repère aux enseignants retardataires impliqués dans les surveillances de la dernière journée des examens : « Les enseignants de la Faculté des Lettres, des Arts, des Humanités de la Manouba manifestent pour la défense des libertés académiques et de la dignité de l’universitaire »

. Cette manifestation dans la manifestation a eu pour effet positif de faire de la propagande pour la cause de la FLAHM, ce qui était du reste l’objectif recherché. A chacune des étapes de la marche, les journalistes et les citoyens photographiaient ou filmaient à qui mieux mieux notre groupe.

Les slogans scandés ont aussi mis en évidence la spécificité du combat de l’université pour les libertés. C’est dans cet esprit qu’ils ont mis surtout l’accent sur son rôle majeur d’éclaireur pour la diffusion de la lumière du savoir, sur le respect des libertés académiques, des prérogatives des conseils scientifiques et l’attachement aux principes des élections à tous les niveaux.

Beaucoup de citoyens et d’universitaires ont tenu, en signe de soutien à la cause de la FLAHM, à rejoindre notre mini-manifestation. Scandant à tue-tête et sans répit nos slogans grâce à leur voix de ténor, Ahlem Boussaada et Haikel Ben Mustapha se sont également improvisés en coryphées, nous invitant souvent à reprendre en chœur les slogans qu’ils nous proposaient. Des citoyens, reconnaissant en moi l’auteur de cette rubrique quotidienne, diffusée sur Facebook, sont venus nous assurer de leur admiration et de leur soutien ainsi que d’anciens étudiants des écoles normales supérieures de Tunis et de Sousse, d’anciens camarades de classe que je n’avais pas revu depuis 38 ans. Notre doyen, devenu aujourd’hui une star selon la formule élogieuse d’une collègue, dite d’un air taquin, est félicité par des citoyens qu’émerveillaient son abnégation et son endurance. D’autres manifestants sont venus spontanément nous aider à hisser notre banderole, comme pour nous signifier l’adhésion totale à notre combat. Je retrouve dans ce soutien l’écho des nombreux messages qui me sont parvenus sur Facebook ou par le courrier électronique et où leurs auteurs nous signifiaient leur appui inconditionnel. Khaled Nouisser, le secrétaire général de notre syndicat, égal à lui-même, toujours imperturbable (Plus discret, plus Bouddha que moi, tu meurs !), quitte le premier rang et se fond dans la masse anonyme des manifestants pour échapper aux photographes. Tout au plus, consentira-t-il une seule fois sur mon insistance à hisser la banderole de la FLAHM pour une photo souvenir, non pour être sous les feux de la rampe mais pour mettre en valeur le slogan inscrit sur la banderole. C’est ce qu’il m’a semblé percevoir dans son hésitation à répondre à mes sollicitations
.
Il était écrit que cette journée historique du 28 janvier nous procurerait beaucoup de bonheur. Nous avons fait entendre notre voix comme en témoigne l’écho très positif de notre mini-manifestation sur les pages de Facebook et sur les journaux électroniques. Le cercle de nos partisans s’élargit de jour en jour. Dans une déclaration publiée dans le journal électronique Al Masdar, Madame Sihem Badri exhorte les étudiantes portant le niqàb à respecter le règlement intérieur de la faculté et à ne plus hypothéquer l’avenir de l’écrasante majorité de leurs camarades et leur droit aux études en entravant la marche de la faculté. Une manifestation comme celle d’aujourd’hui fait apparaître une vérité de plus en plus évidente qui elle été occultée au début de la crise pour des considérations politico-politiciennes : Le combat initié par la FLAHM est devenu de jour en jour la Manouba celui d’une société qui est venue à bout du totalitarisme et qui n’accepte pas qu’il revienne.

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