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Trop, c’est trop ! Colonisation de la Palestine : l’hypocrisie doit cesser
Article mis en ligne le 7 septembre 2015
dernière modification le 1er septembre 2015

Etienne Balibar, philosophe, Alice Cherki, psychanalyste et Mohammed Harbi, Gilles Manceron et Bernard Ravenel, historiens, considèrent que le crime commis fin juillet dans un village de Cisjordanie contre une famille palestinienne, dont le père et un bébé ont été brûlés vifs est une conséquence directe de la colonisation. Avec le collectif « Trop, c’est trop ! », ils militent pour que des sanctions soient imposées à Israël.

(...) Pour faire cesser cette situation en imposant des sanctions contre Israël, le collectif « Trop, c’est trop ! », constitué en 2001, au moment où Yasser Arafat s’est trouvé enfermé à Ramallah, à l’initiative de Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet, et qui s’est exprimé quand de nouvelles menaces compromettaient encore davantage la paix dans la région, ouvre aujourd’hui un site internet.

Son cap ? Dès le lendemain de la Guerre des Six Jours, Pierre Vidal-Naquet l’avait fixé. Dans son article du Monde intitulé « Après », du 13 juin 1967, il expliquait qu’après avoir pris la défense d’Israël quand son existence était menacée, il demandait désormais la « satisfaction des aspirations nationales des Arabes de Palestine » par la création « d’un Etat palestinien arabe à partir de la bande de Gaza et de la Cisjordanie ».

Les élections de mars 2015 en Israël ayant tourné le dos à cette perspective, seules de réelles sanctions contre cet Etat peuvent faire bouger les choses. Engagés dans le combat permanent nécessaire contre l’antisémitisme, nous refusons l’instrumentalisation indue de cette cause pour tenter de discréditer la critique des politiques israéliennes et les demandes de sanctions économiques contre cet Etat.

Le gouvernement d’Israël soutient la colonisation

Le crime commis à Douma, qui mérite bien le terme de pogrom et est aussi révoltant que tous ceux qui ont jalonné l’histoire de l’antisémitisme en Europe, n’est pas un acte isolé. Les organisations palestiniennes et israéliennes de défense des droits de l’homme recensent chaque semaine bien d’autres agressions perpétrées en Cisjordanie par des colons contre des civils palestiniens, dont des enfants, et destructions de lieux de culte chrétiens ou musulmans, de cultures et de maisons, qui s’ajoutent aux humiliations et aux violences infligées par les soldats israéliens.

Elles ont pour soubassement l’idéologie inculquée aux 600 000 colons installés en Cisjordanie, celle du « Grand Israël » qui les a persuadés que ces territoires étaient leurs. Leur doxa, que le discours des politiques qui ont accompagné leur implantation a édifiée, est que les Palestiniens sont des intrus, qu’ils doivent disparaître de leur regard, laisser la place aux colons ; et que les crimes commis par des extrémistes colons ne doivent pas être réprimés, ils visent à « restituer » à Israël les terres de « Judée-Samarie », autrement dit toute la Palestine. (...)

. Parmi les colons, les groupes terroristes comme Tag Mehir (« Le prix à payer »), qui considèrent comme un kadosh, un saint, un héros, Baruch Golstein, l’assassin de 29 Palestiniens en prière dans la mosquée d’Hébron, le 25 février 1994, bénéficient de l’indulgence du gouvernement comme des tribunaux de district. Les trois individus accusés d’avoir mis le feu le 18 juin à une église de Tibériade ont vite été libérés, quand, pour des faits semblables, un tribunal militaire aurait condamné des Palestiniens à au moins quinze ans de prison. A Beit El, près de Ramallah, le 29 juillet, quand Netanyahou a été contraint d’appliquer une décision de la Cour suprême à la requête de paysans palestiniens en détruisant deux petits immeubles illégaux construits par des colons, il l’a aussitôt compensé. Pour tenter de calmer les jeunes colons qui avaient lancé toutes sortes de projectiles sur les soldats - en toute impunité, quand, pour les mêmes actes, l’armée aurait tiré sur de jeunes palestiniens -, il a annoncé la construction de 300 logements dans cette colonie déjà peuplée de 6 000 habitants.

Une situation bloquée

Sans pressions extérieures, une société enfoncée dans une situation coloniale ne peut trouver d’elle-même une solution pour en sortir. De telles sociétés connaissent des dissidences et des minorités lucides qui méritent notre soutien mais qui restent isolées au milieu de l’aveuglement majoritaire. (...)

Chacun le constate : vingt ans après les Accords d’Oslo, la perspective de créer un Etat palestinien aux côtés d’Israël parait plus éloignée que jamais. Jérusalem-Est s’y trouve annexée de fait avec ses 300 000 habitants palestiniens — sans qu’ils en soient reconnus citoyens, sans droit d’y participer aux élections législatives. Des colonies de plus en plus nombreuses tendent à la séparer de la Cisjordanie. Les quelque 1 800 000 habitants de la bande de Gaza, isolés du monde, vivent au milieu des ruines provoquées par l’attaque de l’été 2014, leurs quelques activités économiques comme la pêche se voyant restreintes chaque jour davantage par les autorités israéliennes. Alors qu’ils appartiennent au même peuple palestinien que les habitants de Cisjordanie, que pendant de nombreuses années, des jeunes pouvaient aller y étudier à l’Université de Bir-Zeit, qu’une personne habitant Beth Hanoun à Gaza, par exemple, pouvait épouser quelqu’un de Ramallah, ils ne peuvent plus se rendre en Cisjordanie. Pourtant, comme l’a souligné l’anticolonialiste israélien Uri Avnery, les Accords d’Oslo reconnaissaient que la Cisjordanie et la bande de Gaza formaient un seul territoire, et Israël s’y engageait à ouvrir entre eux quatre « libres passages » sécurisés, jamais réalisés. L’objectif actuel d’Israël est d’approfondir la coupure entre ces deux morceaux de Palestine, quitte à renforcer l’emprise du Hamas sur Gaza en concluant avec lui un accord séparé et en lui octroyant même un port de haute mer sous son contrôle.

Mais, même si l’unité de la Palestine, la construction d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale paraissent s’être éloignées sans cesse dans les faits, cet objectif reste la seule perspective pouvant, à moyen terme, mettre fin au conflit. (...)

Seules des sanctions venues du reste du monde pourraient provoquer des évolutions en Israël. Cet Etat s’est souvent montré sensible aux menaces de sanctions économiques
(...)

le collectif « Trop, c’est trop ! » a relancé le 11 mai 2015 la demande de suspension de l’Accord d’association de l’Union européenne avec Israël. Elle avait été au cœur, en novembre 2002, d’une réunion publique à la Mutualité organisée notamment avec l’Association France-Palestine Solidarité, qui n’a jamais cessé de la défendre depuis. Elle a été reprise par la Ligue des droits de l’homme dans la résolution adoptée au Mans, le 24 mai 2015, lors de son 88e congrès, « Soutenir les droits du peuple palestinien ». Une telle revendication pourrait faire l’objet d’une vaste campagne des citoyens européens à destination de leurs élus, pour que l’Union européenne ait le courage de prendre effectivement cette décision.

Déjouer l’instrumentalisation indue de l’antisémitisme

Faut-il appeler au boycott de tous les produits israéliens par les consommateurs ? Nous n’avons pas repris un tel appel. En droit, tout Etat dont on dénonce la politique doit pouvoir être l’objet d’un boycott sans qu’on puisse considérer celui-ci comme une manifestation de racisme à l’égard de ses habitants. En cela, la « circulaire Alliot-Marie » émise le 12 février 2010 par la Garde des sceaux de l’époque, qui demande aux parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des actions de boycott des produits israéliens, qu’elle assimile à de la provocation à la discrimination ou à la haine raciale, doit être abrogée. Les militants qui appellent au boycott des produits israéliens en raison de la politique de colonisation pratiquée par cet Etat, tout en étant clairs sur la dénonciation de l’antisémitisme, ne doivent pas pouvoir être accusés de racisme ni relever des tribunaux (...)

un appel général au boycott des produits israéliens par les consommateurs est-il pour autant un mot d’ordre approprié ? Du fait de l’ancienneté et de l’enracinement de l’antisémitisme en France et en Europe, en raison des confusions et connotations antisémites que cela pourrait comporter dans une partie de l’opinion, nous ne le pensons pas. Comme l’avait souligné encore Pierre Vidal-Naquet, Israël n’est pas « un Etat comme les autres ». Il faisait remarquer qu’« attaquer violemment la politique française, le gouvernement français, ne signifie pas mettre en cause l’existence de la France en tant que communauté nationale ». Boycotter les Etats-Unis à cause de la politique de ses dirigeants, brûler pour cela un drapeau américain, n’est pas perçu comme une négation du droit d’exister de cet Etat. La construction d’Israël s’est produite au confluent de deux histoires : elle a eu lieu dans un contexte où l’idéologie accompagnant l’expansion coloniale européenne, qui commençait à être remise en cause, niait les droits des peuples indigènes ; et elle est aussi indissociable de l’histoire de personnes qui ont quitté l’Europe pour fuir les persécutions antisémites qui y déferlaient. On ne peut pas faire abstraction de cette double histoire particulière.

Il faut prendre en compte également l’existence en Israël d’un courant, inévitablement minoritaire, mais significatif, favorable à l’existence d’un Etat palestinien. (...)

Le mouvement de soutien aux droits des Palestiniens doit faire preuve d’une vigilance particulière vis-à-vis de l’antisémitisme dont l’enracinement multiséculaire en France et en Europe fait qu’il a tendance à rejaillir sans cesse sous de multiples avatars. Et cet antisémitisme, largement enraciné dans l’histoire de l’Europe chrétienne, a tendance à se compliquer du fait de l’interférence de préjugés judéophobes et d’approches simplistes et ethnicisantes du conflit israélo-palestinien, issus des cultures populaires de pays musulmans et de l’immigration qui en provient. Sans reprendre les théories selon lesquelles un « nouvel antisémitisme » d’origine musulmane aurait remplacé en France le « vieil antisémitisme » européen, une réflexion précise sur ces phénomènes doit être menée avec les Français musulmans ou héritiers de cette culture, ainsi qu’avec l’ensemble des forces qui veulent faire triompher les droits des Palestiniens.

Reste que nous refusons clairement l’invocation systématique de l’antisémitisme pour récuser toute critique à l’encontre des politiques mises en œuvre par l’Etat d’Israël. (...)

L’allégation d’antisémitisme est une arme récurrente à laquelle les défenseurs des politiques coloniales israéliennes ont constamment recours. (...)

Un argument que des responsables politiques français n’hésitent pas à reprendre ; ainsi Valérie Pécresse, lors de l’opération controversée de la Mairie de Paris associant la ville de Tel-Aviv à Paris Plages, le 13 août, déclarait sur RTL, à propos des critiques extrêmement mesurées émises par des élus du Conseil de Paris et des partis politiques : « derrière, on sent quand même des relents antisémites ».

Vigilants vis-à-vis de toute forme d’antisémitisme, nous ne céderons pas face à cette instrumentalisation indue de cette notion par les défenseurs des politiques coloniales d’Israël. Aujourd’hui plus que jamais, la France comme l’Europe se doivent de tout faire pour que le droit international soit imposé à cet Etat. Si elle ne veut pas être complice de la poursuite de ces crimes, la France doit reconnaître sans délai l’Etat de Palestine et demander que l’Europe suspende son accord d’association avec l’Etat d’Israël. (...)

Le site du collectif Trop c’est Trop, est ici