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Mediapart
Travail saisonnier en agriculture : pour la première fois, des exploitants condamnés
Article mis en ligne le 8 avril 2022

Un deuxième volet de la gigantesque « affaire Terra Fecundis », du nom de l’entreprise d’intérim espagnole qui employait des personnes migrantes dans le sud-est de la France, vient de se refermer. La société ainsi que sept exploitations agricoles ont été condamnées pour travail dissimulé et emploi de sans-papiers.

C’est une première dans l’opaque monde du travail saisonnier agricole. Vendredi 1er avril, sept exploitations agricoles du Gard ainsi que l’entreprise de travail temporaire espagnole Terra Fecundis, désormais renommée Work for All, ont été condamnées par le tribunal de Nîmes pour avoir recouru « sciemment au travail dissimulé » et pour « emploi de personnes étrangères sans titre ».

Les premières ont été condamnées chacune à une amende de 10 000 euros, dont une partie avec sursis. La seconde s’est vu notifier, une nouvelle fois, une interdiction « définitive » d’exercer sur le territoire français – un précédent jugement, en juillet, par le tribunal de Marseille, l’avait déjà interdite de toute activité –, une amende de 375 000 euros, et la publication de la condamnation sur le site Internet du ministère du travail.

Cette deuxième affaire, lancée sur signalement de l’inspection du travail d’Occitanie et pour laquelle un ensemble de syndicats s’étaient constitués partie civile, portait sur le volet « droit du travail » des activités de Terra Fecundis dans le Gard entre 2017 et 2019. Travail supplémentaire non déclaré, temps de pause non respectés… En dehors des clous en termes du droit du travail, l’entreprise espagnole fournissait aux chefs d’exploitation de vignes, de melons, et d’arbres fruitiers du département une main-d’œuvre saisonnière corvéable à merci. Six agriculteurs et une agricultrice étaient poursuivis (...)

La première affaire, sur laquelle Mediapart avait enquêté avant un procès qui avait fini par se tenir l’an dernier, portait sur les années 2012 à 2015 et principalement sur une fraude de 112 millions d’euros à la Sécurité sociale liée à une sous-déclaration massive d’heures de travail. Terra Fecundis avait alors été condamnée à 500 000 euros d’amende, et les trois dirigeants de la société à 100 000 euros d’amende chacun et quatre ans de prison avec sursis. (...)

Au total, depuis le début des années 2010, ce sont plus de 6 000 intérimaires étrangers, près de 500 exploitations agricoles et une trentaine de départements qui se sont retrouvés sous l’emprise de la société Terra Fecundis. Cette dernière avait mis au point un système hors norme de détournement de la directive européenne sur le « travail détaché », en faisant venir d’Espagne des personnes d’origine sud-américaine pour les faire travailler à bas coût dans les champs du sud-est de la France. Avec des conséquences dramatiques. En 2011, un travailleur équatorien de 33 ans employé par cette société, Elio, avait trouvé la mort à la suite d’une déshydratation et d’une journée de labeur durant laquelle l’eau avait manqué. (...)

À propos d’« El Carcel » et d’un autre hébergement loué par Terra Fecundis à Maillane, dans les Bouches-du-Rhône, les enquêteurs étaient allés jusqu’à écrire que « tous les éléments constitutifs de la traite des êtres humains » étaient « réunis » (...)

Si cette infraction n’a pas été retenue, pour l’instant, dans les procès visant Terra Fecundis, nul doute que ce nouveau jugement vient mettre un gros caillou dans la chaussure de celles et ceux qui construisent leur business sur le contournement du droit du travail et la vulnérabilité d’une population étrangère déracinée. (...)

Ces entreprises agricoles qui ont enfreint le droit continuent toutefois de bénéficier des subventions publiques versées au titre de la PAC, la politique agricole commune. Si celle d’Henry-Pierre Bois, l’un des plus gros arboriculteurs du Gard, est désormais en liquidation judiciaire, il s’agit de fermes qui touchent plusieurs dizaines de milliers d’euros chaque année sur ce budget financé par les contribuables européens.