Le Mozambique va-t-il se transformer en « Qatar africain » ? C’est en tous cas ce que souhaite son gouvernement, de même que de nombreuses multinationales occidentales, parmi lesquelles Total, Technip, EDF et les grandes banques françaises. Elles sont à la manœuvre dans projets d’exploitation de gaz naturel au large des côtes du pays. Un terrible paradoxe, alors que le Mozambique vient de subir de plein fouet les conséquences concrètes du réchauffement climatique avec le passage du cyclone Idai, qui a laissé derrière lui un millier de morts et deux millions de déplacés.
Plus importante catastrophe climatique que la région ait connue, Idai a fait plus d’un millier de morts et deux millions de sinistrés. Un mois plus tard, un deuxième cyclone déferlait sur le pays, faisant cette fois 45 morts et 250 000 autres sinistrés. Villages balayés, populations déplacées, infrastructures détruites, propagation d’épidémies… Les conséquences de ces événements climatiques sont critiques.
Cela n’empêche pas les multinationales et le gouvernement mozambicain de sortir le grand jeu pour transformer le Mozambique en « Qatar de l’Afrique ». Les majors occidentales sont arrivées sur place suite à la découverte d’importants gisements de gaz au large des côtes du pays entre 2005 et 2013 : 5000 milliards de mètres cube, de quoi satisfaire la consommation de la France pendant plus de 120 ans ! Des gisements rendus encore plus rentables par l’emplacement stratégique du Mozambique pour les marchés asiatiques, premier débouché du gaz liquéfié. Les multinationales gazières estiment que le pays produira 31,48 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) chaque année à partir de 2024.
Les groupes français à la manœuvre, grâce à des garanties publiques (...)
Partenaire d’Eni sur ce projet, TechnipFMC est chargé de l’ingénierie, la fourniture des équipements, la construction, l’installation et la mise en service de cette unité flottante de liquéfaction. Pour ce faire, elle a bénéficié d’une garantie publique de plus de 528 millions d’euros de la part de BpiFrance, l’agence de crédit à l’exportation de l’État français. Toutes les grandes banques françaises - Crédit agricole, BPCE/Natixis, BNP Paribas et Société générale - ont participé au financement, pour plus d’un milliard de dollars au total.
L’autre grand projet, Mozambique LNG, est également menée par une firme française, Total, qui vient d’en faire l’acquisition. Jusqu’alors propriété du texan Anadarko, il a été cédé à la multinationale tricolore avec d’autres gisements africains en Algérie, en Afrique du Sud et au Ghana. À huit milliards d’euros, c’est la plus grande acquisition de Total depuis 20 ans. (...)
Les communautés locales exclues des bénéfices économiques
Ces gisements de gaz sont présentés comme une aubaine pour ce pays d’Afrique australe affichant des niveaux records d’inégalités et plongé dans une crise économique sans précédent par le scandale de la « dette cachée ». Cette affaire, qui tourne autour de prêts de plusieurs milliards contractés secrètement par le gouvernement mozambicain auprès des banques Crédit Suisse et VTB (Russie), n’est peut-être pas sans lien avec la question du gaz. Officiellement, cet argent devait financer la constitution d’une flotte pour la pêche au thon. Une partie a été utilisée pour acheter des chalutiers aux Chantiers navals de Cherbourg. Le reste s’est évaporé, et aurait été détourné en pots-de-vin [1]. Une chose est certaine : le gouvernement mozambicain a avoué qu’une partie des fonds ont servi à la construction d’équipements militaires pour la surveillance du canal du Mozambique et la protection des infrastructures gazières.
Meurtrie par le dérèglement climatique, subissant les conséquences de la corruption des élites, l’essentiel de la population mozambicaine profitera-t-il néanmoins de la manne gazière ? Rien n’est moins sûr. « L’impact sur les communautés locales est très important » , note Ilham Rawoot. La coordinatrice de campagne pour Justiça Ambiental – les Amis de la Terre Mozambique – s’est rendue à Paris pour interpeller les dirigeants de Total et d’autres entreprises françaises à l’occasion de leur Assemblée générale annuelle. (...)
Pas d’accès à l’énergie, principalement destinée à l’exportation (...)
La création d’emplois est souvent mise en avant par les multinationales pour justifier leur présence. Si quelques postes de cadres pourraient bénéficier à l’élite de la capitale mozambicaine Maputo, les emplois d’exploitation et de maintenance offerts sur les plateformes gazières ne conviendront pas aux communautés locales, majoritairement composées de pêcheurs et d’agriculteurs. Et si celles-ci pensaient au moins pouvoir bénéficier de la nouvelle source d’énergie extraite au large des côtes de leur pays, c’est raté : la grande majorité du gaz sera liquéfié et exporté, alors que 80% de la population n’a pas accès à l’électricité.
« Les trois projets réunis ont le potentiel d’émettre d’énormes quantités de gaz à effet de serre » (...)
« Compensation » à base d’accaparement des terres ?
Pour « compenser » les émissions de gaz à effet de serre de leurs projets, les multinationales ont un plan : investir dans des programmes de reforestation. Total a annoncé 100 millions de dollars par an pour ces « puits de carbone ». Eni et Shell ont des projets similaires, au Mozambique mais aussi en Afrique du Sud, au Ghana et au Zimbabwe. Ils pourraient acquérir jusqu’à 8,1 millions d’hectares de terres pour y mener leurs projets de compensation. Justiça Ambiental dénonce une opération de « greenwashing » « qui pourrait exacerber les problèmes dus à l’exploitation des énergies fossiles », notamment les déplacements de communautés. (...)
Avec l’acquisition des actifs d’Anadarko, Total confirme son ancrage sur le continent africain. En plus de sa présence historique dans les anciennes colonies françaises – Congo et Gabon notamment – ainsi qu’au Nigeria et en Angola, le groupe se lance désormais sur de nouveaux terrains de chasse comme le Mozambique. Les multinationales entendent bien continuer à exploiter de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. L’Afrique et son environnement restent une cible privilégiée pour leurs projets destructeurs, destinés à alimenter les marchés des pays riches. Ses habitants n’ont malheureusement pas fini d’en faire les frais.